Elle respirait difficilement. La fièvre s'agrippait durement à son corps, faisant bouillir son sang dans ses veines. La respiration sifflante, les paupières collées par un liquide épais qui ressemblait vaguement à des larmes, Nepheline dépérissait à vue d’œil.
Narghar était à ses côtés. Elle le savait à cause de son odeur, de sa chaleur, de son sixième sens qui la prévenait quand il s’éloignait ; son cœur hurlait de douleur à la moindre séparation. Ils avaient été conçus comme des siamois sans être réellement rattachés autrement que par l’esprit.

Et, au fond, Nepheline avait peur de quitter ce monde. Elle avait trop à voir, trop à faire ; surtout que la mort sans son frère avait quelque chose de terne. « Je ne veux pas crever » murmuraient ses prunelles à peine ouvertes. Elle se recroquevilla contre la fourrure noire de son jumeau. Ils continuaient de grandir ces dernières semaines. Lui devenait beau, majestueux. Elle demeurait si rétive que les différences se marquaient de plus en plus. Elle poussait moins vite.

- Nar, Nar. (Sa voix n’était qu’un faible chuchotement.) Tu ne dois pas m’abandonner. La voix va me guérir. Tu verras. Je ne suis pas faible.

« Je ne serai jamais faible parce que je suis digne de nous » criaient ses gènes. Elle portait fièrement son sang. Elle aspirait réellement à devenir comme sa mère, à organiser les éloges funèbres des autres loups du monde ; pour qu’ils soient les seuls à gouverner. Elle avait juré de faire de son frère le roi de l’univers entier.

- J’ai si faim…

Mais Nepheline avait déjà mangé. Son estomac avait rechigné devant les chairs roses d’un lièvre à peine entamé, puis à nouveau face à une biche chassée par sa tante — ou volée par sa tante, dieu seul savait.
Elle n’arrivait pas à être satisfaite. Plus rien n’avait de goût. Finalement, l’ombre de sa mère entra dans son champ de vision. Nepheline lui adressa un regard chargé de culpabilité. Elle avait si honte d’être malade, d’être fragile.

- Je suis désolée, mère.

Nepheline soupirait. Elle était lasse, parfois, de danser avec la Faucheuse. En général, la douleur lui donnait le sentiment de vivre, de respirer, d’être réelle. Mais il y avait ces jours-là où la souffrance était aux abonnés absents. Elle n’avait pas mal. Ses organes semblaient dormir, anesthésiés. Même son cœur était plus lent, dévoré par une soudaine asthénie. Seule restait la fièvre paralysante, désagréable, brûlante puis glacée.

Dans ces moments-ci, Nepheline se sentait minuscule à côté de sa mère. Un regard, un silence. Elle n’avait pas besoin de mots, la môme. Seulement des yeux de ses proches sur sa peau pour avoir l’impression qu’on la voyait. Amanda s’allongea finalement auprès d’eux — chose qui était si rare que Nepheline demeura interdite une seconde. Elle se rapprocha un peu plus près pour profiter de sa chaleur. Sa fourrure sentait le sang. Son ventre gargouilla, réveillé par les parfums familiers de charogne fraîche.

- Vous sentez si bon, mère…

Elle espérait seulement que la proie respirait encore lorsque sa mère avait commencé à se nourrir dessus. Maintenant que Nepheline connaissait la saveur incomparable d’une chair prélevée sur un corps vivant, les autres mets avaient des goûts fades. Quand ils en avaient, du moins.

- Anna n’a pas voulu chasser pour nous. Elle a dormi, dormi, dormi. Puis, elle est partie. Alors j’ai mangé les vieux restes. Mais c’est si mauvais ! Si mauvais… Le sang était si sec que j’ai eu soif après une bouchée à peine. Je ne comprends pas, mère. Pourquoi les proies mortes sont si fades ? Hein, Narghar ? C’est si meilleur quand ils respirent encore...

Pourquoi les proies vivantes étaient si bonnes ?
Pourquoi parvenaient-elles à la rassasier là où les autres n’y arrivaient pas ? Les oreilles couchées sur le crâne, Nepheline observa l’extérieur de la tanière. Elle se lova précautionneusement contre son jumeau. Les yeux mi-clos, la môme semblait réellement peinée par sa faim si difficile à assouvir.