« Menteuse »

Hé, ma jolie…
« Sa jolie » décroît à chaque seconde. « Sa jolie » est une fleur rétive aux couleurs passées. Comme si la pluie avait peu à peu volé les pigments des longs pétales rêches. Vilaine pluie. Méchante Nature. Émue, Lied regarde le végétal qui se recroqueville. Elle l'observe depuis des heures. Elle est là, voûtée au-dessus de la soie trouée.

Sa mère aménage leur nouvelle tanière un peu plus loin. Lied peut l'entendre faire craquer des branches ou gratter l'écorce des arbres de temps à autre. Elles sont encore seules. Toujours seules. C'est sûrement pour cela que Lied a le cœur sensible aux plantes, d'ailleurs. Ouais. C'est à cause des autres si la môme assèche son pouvoir en puisant dans une source presque inépuisable : ses souvenirs.
« Quelle horreur ! » direz-vous. Lied n'en est pas sûre. Elle offre les bouts de son cœur en pâture sans vraiment y penser maintenant. La peur est passée.

Elle commence le processus. Lentement, Lied glisse dans son royaume mental où tout n'est que silence. Elle oublie le monde réel, le chant des oiseaux, le murmure de l'eau du ruisseau. Il n'y a plus que la fleur sous ses yeux. Elle sent le goût de la mort sur ses papilles. Elle a la saveur des dernières heures du végétal mais refuse de la laisser à son sort. Peu à peu, par l'intermédiaire d'une chaleur qui se diffuse entre elles, Lied lui rend un peu de vitalité. Les pétales s'épanouissent à nouveau. Ils retrouvent leurs nuances vives.

— Bonjour, je suis Hélena et toi ?

La gosse pousse un glapissement de surprise puis se retourne d'un bond spectaculaire. Elle manque au passage d'écraser le végétal restauré mais esquive agilement. Non, au final c'est dans l'eau que Lied va se vautrer.
Les yeux écarquillés, elle croise enfin la raison de sa stupeur : une louve d'une beauté presque surréaliste. Lied balbutie péniblement en se débattant dans l'onde. Par chance, la flotte ne l'atteint que jusqu'aux épaules. Pas de quoi paniquer en somme.

— Je- ah, un poisson ! Nooon. Ne me mords pas ! Méchant poisson. Méchant ! (Elle exécute un petit bond maladroit en avant mais avale la tasse. Elle tousse.) Désolée. Salut ! Je suis Lied. Tu es du coin ? Parce que moi non. Tu as quel âge ? Pas beaucoup plus que moi, je suis sûre ! Je viens d'arriver dans les environs.

Elle arrête de parler pour reprendre son souffle. Ses lèvres se fendillent d'un sourire jovial. Lied adore ses congénères. Hélena ne pouvait pas lui faire plus belle surprise qu'en venant à sa rencontre. Comme pour en témoigner, ses oreilles sont portées bien hautes, dirigées vers la femelle. Sa queue remue doucement dans l'eau, créant de petites vagues.

— Oh. Elle est plutôt bonne au final. J'aurais dû y penser avant, moi qui avais chaud !

Son cœur se plaint entre ses côtes. Il n'arrête plus de pulser, balançant des litres de sang ; au point de provoquer de petits fourmillements dans son visage, dans ses joues, dans ses membres. Elle cligne des yeux en observant la louve. Elle est belle. Autant qu'une apparition, une espèce de création céleste.
L'autre commence à parler. Doucement. Elle a ce « quelque chose » dans la voix qui appartient aux loups plus âgés. Comme des inflexions de « grands » ; Lied la regarde, un peu fascinée. Elle est gentille, en plus. Elle pose des questions à la môme, cherchant à la connaître. Une alarme s'allume dans le crâne de Lied. Sa mère a été assez sévère sur le sujet ; si on lui demande trop de choses, il faut mentir. Il faut se méfier.
Ouais. Se méfier.

Combien de fois ces enseignements reçus l'ont empêché de tisser des amitiés ? Souvent. Pourtant, à en croire les paroles de la belle Hélena, c'est à des vagabonds qu'elle a à faire. Tant mieux. Il faut être deux fois plus prudents avec les loups de meute, il paraît. Son cœur se serre. Hélena propose de jouer, de chasser. D'être copines, en somme. Lied veut. Lied en a vraiment envie ; ce n'est pas drôle d'être seule en permanence.
Elle rejoint lentement la berge en pataugeant dans l'onde déformée. Son sourire est toujours là mais sa joie s'est ternie. Elle opine duchef pour marquer son accord. Une adolescente de neuf mois ne peut pas leur porter préjudice, pas vrai ?

— J'ai 7 mois ! Je veux bien. Maman est souvent occupée, elle ne peut pas m'apprendre à chasser. Je ne serai pas une super partenaire mais si ça ne t'embête pas ! Oh, on pourra explorer les environs ensemble. Je suis sûre qu'il y a des choses intéressantes à découvrir.

Elle s'ébroue pour se débarrasser de l'eau qui dégouline de son pelage.

— Tu sais pêcher ? Moi oui. Je pourrai te montrer si tu veux ! Tu veux qu'on essaie de chasser ?

Toute intéressée par les réponses, Lied se pose en sphinx pour écouter.

Lied est ravie. Sa nouvelle copine ne connaît pas la pêche ; voilà une bonne occasion pour fanfaronner un peu, pour montrer que sa mère est douée pour enseigner à des jeunes. Sa mère aurait été un mentor exceptionnel si elle avait décidé de se rallier à une meute. Mais seule Lied peut en profiter.
Lied et Hélena, désormais.

L’adolescente hoche vivement la tête pour marquer son accord. Bien sûr qu’elle va lui apprendre ! Dès maintenant, d’ailleurs. De nouvelles questions se bousculent aux lèvres de son amie. La plus jeune esquisse des sourires heureux, chargés d’allégresse. Elle trépigne sur ses jolies pattes blanches, le bout de sa queue agitée de tremblements incontrôlables. Elle essaie de calmer ses muscles, d’avoir l’air mature. Sans succès. À peine Hélena a-t-elle demandé à voir le coin de pêche que Lied bondit sur ses quatre membres, les oreilles dressées sur le crâne et les yeux brillants de malice.

— Allons-y. Mais il ne faudra pas le dire aux autres. C’est un coin sacré ! Tu es la seule à qui j’en parle. (Elle a un petit rire jovial.) C’est ma cachette secrète pour passer le temps quand Maman part chasser. Elle peut disparaître pendant des heures ! Les adultes chassent si longtemps… Sans se fatiguer, en plus. C’est impressionnant. On sera comme ça aussi après ! Surtout toi. Tu es si grande ! Je suis sûre que tu vas devenir très forte.

Elle parle sans discontinuer pendant qu’elles zigzaguent entre les arbres. Au bout d’une demi-heure, Lied désigne un coin isolé. Une jolie clairière éclairée par le soleil entre les branches. La lumière fait de petites boules dorées sur le sol, sur les feuilles, les troncs, la surface de l’eau. Tout scintille. Les papillons paressent sur les fleurs, quelques animaux s’abreuvent à la rivière.
Les heures qui suivent sont occupées à montrer comment il faut se pencher au-dessus de l’eau, calmement, puis d’attendre le bon moment pour sauter sur un poisson. La plupart des essais sont vains. Finalement, à la tombée de la nuit, Lied annonce devoir filer. Elle s’engouffre dans les bois pour rejoindre sa mère déjà rentrée.

RP terminé. Merci beaucoup !