Récapitulatif des chasses :

11.11 : Aucune proie.
12.11 : 1 proie.
13.11 : Aucune proie.
14.11 : Aucune proie.
15.11 : Aucune proie.
16.11 : 1 proie.
17.11 : Aucune proie.
18.11 : Aucune proie.
19.11 : Aucune proie.
21.11 : Aucune proie.
22.11 : Aucune proie.
23.11 : Aucune proie.
24.11 : Aucune proie.

Maman, pauvre Maman.
Abandonnée par tes deux seuls enfants après avoir souffert à ce point pour les mettre au monde. Je me demande si tu as un peu de rancœur pour nous, si tu nous en veux pour ces heures de douleur.
Tu t’es sacrifiée pour nous, Maman.

Ton visage ruisselle de pleurs, ce soir encore. Lied n’est pas rentrée. Elle a laissé un vide, un affreux manque. Tu la cherches sans cesse des yeux, espérant apercevoir son sourire angélique, ses yeux plus purs que le bleu du ciel. Personne. Personne. Ah…
Comme c’est traître, un enfant.
Comme ça nous tue à petit feu.

Tu pousses un hurlement dans la nuit, Maman. Un chant déchirant qui résonne longuement, un appel destiné à une fille qui vous a fui. Elle s'est échappée il y a un moment, maintenant. Peut-être même des mois. Tu ne sais plus vraiment. Tu te rappelles seulement de ce vide laissé par son absence, un trou béant que tu as désormais l'impression d'avoir eu toute ta vie.
Les larmes coulent, coulent. Elles envahissent ta bouche, suintent sur tes lèvres, tracent des sillons sur ton menton. Elles nourrissent la terre en finissant leur course sur le sol boueux. Tu pleures, tu pleures.

Tu te demandes, en mangeant sans appétit le pigeon chassé plus tôt dans la journée, si l'abysse sera comblé un jour. Si Lied reviendra de son voyage insensé.

- J'aimerais que tu rentres, ma chérie.

Maintenant que vous n'avez plus à sacrifier vos vies au nom de la cruauté. Maintenant que vous êtes libres d'aller là où vous voulez. Tu te demandes si c'est ça que Lied désirait depuis tout ce temps : te fuir. Ton cœur se serre. Une nouvelle journée passe. Tu te loves simplement contre Wick, seul pilier inflexible dans un présent chaotique. Il te lèche le crâne, tu soupires. Tu te laisses lourdement tomber sur le sol de la tanière dans un bruit mat. Malgré ce fort désir de changer d'habitat, tu as décidé de rester au même endroit ; au cas où ma sœur reviendrait. Pour qu'elle n'ait aucun mal à vous retrouver, en réalité.

Le soleil se lève à nouveau au-dessus de l'horizon. Les journées sont froides mais cela ne te décourage pas. Tu envisages de changer de proies, pour une fois. Tu sais que c'est dangereux mais tu te diriges calmement vers la rivière. Tu n'as pas l'intention d'entrer dedans ; pas entièrement, seulement une patte ou moins.

Arrivée sur les berges meubles, tu concentres ton pouvoir dans ta patte avant. Tu frappes le sol, une flamme ronronne en léchant l'herbe humide. Il menace de s'éteindre, tu l'alimentes. La chaleur se répand dans ton ventre. C'est jouissif. Le pouvoir coule dans tes veines à la façon d'une lave tout juste crachée par le volcan.
Il se forme une bulle à la surface de la rivière, puis deux. Finalement, d'autres se rajoutent. Tu pousses ton feu, excites l'étoile. Au bout d'une dizaine de minutes, un poisson remonte à la surface. Il est mort asphyxié, l'eau ayant été dépouillée de son oxygène dans la zone. Malheureusement, un oiseau de proie a repéré ton manège. Il plonge aussitôt sur ton repas et se barre avec. Tu lâches un grognement scandalisé mais ne peux rien contre ses ailes puissantes.

- Wick ! Je suis contente de te voir.

Depuis la disparition de ma sœur, vous vous retrouvez souvent pour fouler le pavé. Hein, Maman ? Tu profites un peu de l'excuse, bien sûr, mais tu ressens le besoin de la chercher avec quelqu'un. Comme si, en t'aidant à retourner ciel et terre, Wick prouvait sa paternité. Vous fouillez un long moment l'ouest. Jusqu'à ce que le soleil décline, en réalité. Il était pourtant à peine levé quand vous vous êtes rejoints. Pas de signe de Lied, pas de signe de ma jumelle. Tu soupires.

Demain est un autre jour, Maman.

Après l'humiliation cuisante du vol de poisson quelques jours auparavant, tu reprends le chemin vers la rivière. Pas de chasse à Lied aujourd'hui. Tu n'as pas vu Wick, tu n'as pas le cœur à errer non plus.

Je sais que ma sœur vous cherche, pourtant. J'essaie de te le hurler à l'oreille, de te pousser à la sauver. Elle a oublié. Elle a zappé l'essentiel, ce qui l'empêche de rentrer. Oh, Maman... La Nature s'est sauvée avec son nom. Elle a sacrifié son patronyme pour tirer un arbre d'un mauvais pas. C'est idiot, non ?

Mais, au lieu de reprendre la route, tu préfères pêcher à nouveau. Ton astuce est étrange mais marche une fois sur deux. Tu guettes l'oiseau paresseux sans rien trouver, attrapes ton butin et rentres à la maison.

Tu dors, Maman. Je me penche au-dessus de toi, moi le simple fantôme hanté par ses propres souvenirs. Si j'avais un reflet, je pense que je verrais quelqu'un qui n'a pas changé. Un louveteau d'un mois, arraché trop tôt à ses proches parce qu'il était faible. Je caresse ton pelage mais seul une bourrasque délicate t'atteint. Je suis impalpable, invisible, inaudible. Peu importe combien je hurle, combien je pleure.

Personne ne m'entend, Maman.

- À l'aide !

Tes oreilles se dressent soudainement. La gauche pivote vers la source des appels, puis c'est le reste de ton corps qui suit le mouvement. Hésitante, tu observes les environs. Les bois sont calmes. Tu sais que, plus loin, une large fissure s'est créée dans le sol ; la faute, sans doute, à des tremblements de terre. Tu approches de la plaie béante, les yeux écarquillés. Tu te retrouves nez à nez avec un jeune loup à peine plus âgé que ma sœur, Lied. Il s'accroche de toutes ses griffes à la roche mousseuse mais ses muscles tremblent. Il doit être là depuis un moment.
Tu te penches en souriant gentiment.

- Je vais vous sortir de là, d'accord ?

Le mâle hoche doucement la tête, les cils recouverts de grosses larmes. Tu attrapes son épaule à l'aide de tes mâchoires, serrant fermement sa peau sous tes crocs. Tu vas le blesser, tu le sais, mais c'est le seul moyen de le tirer de là sans danger.
Tu parviens à le hisser peu à peu vers la sécurité. Il te remercie chaleureusement. Tu lui proposes de soigner ses blessures et de veiller sur lui le temps qu'il se remette. Tu le ramènes donc à la tanière pour le guérir.

Tu t'es occupée de l'adolescent pendant quelques heures, Maman. Il était épuisé. Il a dormi sur la couche préparée à l'attention des patients, s'est retourné longuement à cause de la fièvre. Il a semblé maigre, là, sous la lumière glacée du crépuscule.
Ne pouvant pas le laisser seul — conscience professionnelle oblige —, tu es restée à ses côtés en refaisant régulièrement les soins. Finalement, le garçon s'est réveillé au milieu de la nuit. Tu somnolais alors, un peu vaseuse ; il t'a adressé un sourire reconnaissant avant de disparaître dans l'obscurité.
Sans donner un nom, sans donner une destination.

Ah... ces jeunes.