Après avoir parcouru l’Est avec mon frère, j’ai décidé de m’aventurer au Nord. Je ne m’attends pas pouvoir y trouver un de mes contacts, ni même à m’en faire de nouveaux. Cette zone n’est pas la plus parcouru par ceux de notre espèce. Elle reste cependant proche du territoire des Yuubae et j’ai donc décidé qu’il fallait que je sache m’y déplacer.

On ne va pas se le cacher, le territoire des Akatsuki se trouve dans une zone calme, giboyeuse et sans soucis de climat. Contrairement aux Yuubae, nous n’avons l’habitude, ni de la jungle de l’Est, ni du froid du Nord. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai choisi de m’aventurer ici, dans ce désert de glace. Avoir des contacts et récolter des informations est une bonne chose mais si je n’arrive pas à survivre dans le climat où vit ce fameux contact, ça ne servira à rien.

Heureusement pour moi, j’ai une fourrure assez épaisse qui me protège du froid. Ou en tout cas, d’une partie du froid. Quand la nuit s’apprête à tomber, je me hâte pour trouver un abri. Mon frère m’a parlé d’une grotte qui se trouverait dans le coin, cachée derrière une cascade.

Je ne mis pas très longtemps à la trouver, grâce aux indications de Laliona. Je fus néanmoins surprise de découvrir qu’un loup était déjà installé dans l’endroit. Un vagabond, d’après son odeur. Quelle chance ! Moi qui étais certaine de ne rencontrer personne dans les parages. Peut-être avais-je sous les yeux un contact potentiel. Un loup qui vit au Nord, voilà quelque chose d’intéressant. A moins qu’il ne soit que de passage mais s’il s’aventurait dans le coin assez régulièrement, ça pourrait m’être utile.

Je m’installe, à l’opposé de lui, préférant rester distante pour l’observer et être sûre qu’il ne choisisse pas de m’attaquer. Il avait une carrure assez impressionnante alors qu’il ne devait avoir que quelques mois de plus que moi. Un an tout au plus. Malgré ma propre carrure, je ne suis pas sûre de faire le poids en cas d’attaque. Heureusement, j’ai d’autres atouts.

Me reposant un peu, j’attendis un certain temps et quand je fus sûre que je n’avais rien à craindre pour le moment, je m’approchais et m’asseyais en face de lui. Même avant de devenir espionne, j’ai toujours été quelqu’un de sociable. Et surtout, j’aime le contact avec les autres loups. Dormir dans une même caverne sans s’adresser la parole me semblait idiot.

— Bonsoir, je m’appelle Aya. Tu vis dans le coin ? Je n’ai pas l’habitude de ce genre de climat, je vis plutôt du côté Ouest d’habitude, dis-je de mon habituelle voix chantante.

Le climat y étant agréable, beaucoup de vagabonds vivent à l’Ouest. Tant qu’ils ne rentrent pas sur notre territoire, nous ne leur faisons rien.

Sans se présenter, le loup me fixa de ses pupilles émeraudes et m’expliqua qu’il n’était pas non plus du coin. Ce n’est pas ce que j’espérais mais en même temps, les loups qui vivent un peu partout sont des mines d’informations. Aussi bien sur les Yuubae que sur les vagabonds en général. C’est décidé, j’allais tout faire pour qu’il m’apprécie et pour en faire un de mes contacts.

Le problème est qu’il n’a pas l’air très loquace. Habituellement, les loups que je croise me font plutôt rapidement la conversation et essaient de se rapprocher de moi. Surtout les mâles, en fait. Mais il en faut plus pour me décourager ! Tout ce que j’ai à faire, c’est trouver un sujet de conversation et augmenter sa sympathie à mon égard. Il ne m’a pas sauté dessus quand je suis entré et n’a pas l’air agressif, c’est déjà un bon début !

— Tu vis tout seul ? Se balader sur les différents territoires en quête d’aventure est amusant et oh combien intéressant mais je t’avoue que je commence à me lasser de la solitude.

Ce n’était que la moitié d’un mensonge. Certes, je fais partie d’une meute mais en tant qu’espionne, je passe plus de temps à l’extérieur du territoire qu’à l’intérieur et, même si je ne le dis pas à voix haute, j’aimerai me trouver un compagnon. Ce qui est chose difficile parmi les Akatsuki puisque mon père ne laisse pas un seul male m’approcher à part mes frères… J’ai toujours eu un côté fleur bleue. C’est peut-être parce que je suis la petite dernière. Enfin bref, ce n’est pas le sujet du jour.

Le loup semblait enfin enclin à la discussion. Il mit un peu de temps avant de répondre qu’il préférait être seul parce qu’il n’avait plus de famille. Ça me fit un choc. En conversant comme ça, je n’avais pas prévu d’aborder un sujet douloureux. J’avais moi-même une grande famille et ce serait hypocrite que de dire que je comprends ce qu’il peut ressentir néanmoins, je ne sais pas ce que je ferais s’ils m’abandonnaient… Je baissais un peu la tête tandis que ma voix perdait un peu de son éclat.

— Je suis désolée… Je ne voulais pas raviver de mauvais souvenirs. Juste faire la conversation. J’aime bien rencontrer d’autres loups.

Non, il ne fallait pas que je m’abandonne à la tristesse. Si je n’étais pas capable de rester positive alors comment pourrais demander aux autres de l’être !

Je redressais la tête et souriais gentiment.

— Qui suis-je pour te donner des conseils mais, tu sais, je pense que quand on a perdu des proches, on ne doit pas s’enfermer dans la solitude mais plutôt…

Je fis un tour sur moi-même tout en ramenant ma queue touffue prêt de mes pattes. Comme ça, on dirait qu’elle est une sorte de bouclier de fourrure qui m’entoure.

— S’entourer.

Oui je sais, cette blague est nulle. Archinulle. Mais il ne faut pas plus pour mettre quelqu’un de bonne humeur parfois.

Décidément, il n’était pas facile à débrider celui-là. Je n’arrive pas à concevoir qu’un loup aime vivre seul. Évidemment, les vagabonds vivent seuls mais, même eux finissent pas former des groupes ou avoir des amis vagabonds qu’ils aiment croiser de temps en temps. Là, j’avais bien l’impression que mon interlocuteur sortait de la norme. Je ne connaissais rien à sa vie mais il avait ce petit côté sombre qui signifiait que quelqu’un avait vécu des choses difficiles. C’était sans doute en rapport avec sa famille.

La perte de ses proches ne devait pas être toute récente. Il avait ce côté sombre, un peu lointain sans vraiment évoquer la tristesse ou la colère. Je ne l’avais jamais vécu mais j’avais appris à apprendre à observer ce genre de choses avec le temps. Il était dans un stade où il pensait dur comme fer qu’il n’avait besoin de personne d’autre que lui-même ou plutôt, que personne ne pourrait jamais combler le vide qu’il doit avoir sur le cœur.

Tout cela n’était que des hypothèses, mais disons que j’étais sûre à environ 80%. Je ne pouvais décidément pas le laisser comme ça. En faire un contact demeurait une option mais ce n’était plus mon objectif premier. Après tout, j’étais venu ici pour étudier la zone, pas pour espionner au premier sens du terme. Mes supérieurs ne me diront rien si je reviens sans nouvelle information.

— Tu as raison. Laissons de côté les blagues et la philosophie et concentrons-nous sur le présent.

Il avait l’air de penser que converser avec moi ne servirait à rien puisque les vagabonds ne se recroisaient que rarement. Voyons s’il va réussir à conserver ce point de vue très longtemps.

— Et si tu commençais par me donner ton prénom beau mâle. Ce n’est pas très sympa d’être la seule à s’être présentée.

Même si ce n’était pas mon véritable prénom mais ça, il n’avait pas besoin de le savoir.

Nehëmah. Joli nom. Son attitude me faisait bien comprendre que ce serait le dernier mot qu’il prononcerait. Jugeant que j’avais assez embêté un étranger ne souhaitant que le repos, je m’allongeais également.

— Bonne nuit, Nehëmah.

Les mots m’avaient échappé, comme par habitude. Je m’endormis rapidement, le museau entre les pattes, ma queue tout contre moi pour conserver le maximum de chaleur.

Étrangement, c’est le froid qui me réveilla. À peine eu-je ouvert les yeux que je me tournais vers la source de cette gêne soudaine. Encore somnolente, je fis quelques pas vers l’entrée de la grotte. Ce que je vis finit de me réveiller. La cascade qui cachait l’entrée de la grotte avait disparu. A la place, un véritable mur de neige bouchait le passage. Seule une ouverture de quelques dizaines de centimètres en haut de la voûte laissait passer la lumière. A l’extérieur, je pouvais entendre le vent souffler en continu, amassant de la neige contre la paroi de la grotte.

Habituellement, je suis une louve plutôt réactive et je trouve toujours une solution aux éventuels problèmes qui me font face mais je dois avouer que cette fois, je ne savais pas quoi faire. J’étais perdue dans le Nord derrière un mur de neige et ça m’effrayait. Oui, j’étais morte de peur.

Paralysée par la peur, je mis un certain temps à remarquer que Nehëmah avait commencé à creuser la neige. Il ne faisait pas attention à moi et semblait absorbé par sa tâche. Le voir travailler ainsi me permis de retrouver mes esprits et je me mis à analyser ce qu’il faisait. Il ne creusait pas un tunnel. Ça aurait été idiot puisqu’il y aurait eu une forte probabilité pour que la neige nous tombe dessus et je n’avais pas particulièrement envie de finir en Lumen glacée.

Ce qu’il faisait, semblait plus méticuleux, plus petit aussi… Un escalier ! La chute risquerait d’être douloureuse une fois arrivé en haut mais, en même temps, je ne pouvais pas me permettre d’attendre que la neige cède d’elle-même. Lui non plus apparemment. Ou alors se dépêchait-il seulement pour ne plus être en ma compagnie ? C’était une possibilité. Une triste possibilité mais une possibilité tout de même.

Il n’avait pas l’air de vouloir de mon aide, néanmoins je voyais bien que sa vitesse diminuait au fur et à mesure. Il fatiguait et devait être gelé. Je ne pouvais décidément pas le laisser continuer ainsi. Je m’approchais de lui et le poussait légèrement du museau.

— Laisse moi prendre ta place et repose-toi. On va creuser à tour de rôle ce sera plus efficace.

Ça sonnait un peu comme un ordre. Sans doute parce que j’avais l’habitude qu’on me parle ainsi. La douceur et la gentillesse de ma voix dénotait cependant avec cet aspect et je me rendis compte, qu’au final, mon propos résonnait plutôt comme une supplique. Je ne savais pas si le loup en face de moi était endurant ou non mais personne ne pouvait faire un travail pareil d’un seul tenant. Il le savait aussi bien que moi. Et, si son objectif était de me fuir, alors, avec mon aide, ça irait d’autant plus vite.

La violence de sa réponse me prend de court. Je pensais avoir cerné le caractère de Nehëmah et ne m’attendais pas à un tel refus. Il reprend sa tâche comme si je n’étais pas là mais ce soudain changement fut trop important pour que mon esprit observateur puisse l’oublier ou passer outre.

Je pourrais juste dire que je ne connais pas assez le loup pour pouvoir le cerner correctement mais je pense qu’il y a plus que ça. Premièrement, sa voix a changé. Ce n’était pas très frappant, d’autant plus qu’il ne m’a pas beaucoup parlé la veille mais je suis une espionne. Je sais écouter. Que ce soit le timbre de la voix ou le ton employé, c’était différent de ce que j’ai pu entendre cette nuit.
Deuxièmement, c’est assez troublant mais il n’a pas dit « je ». Il a dit « nous ». Ça pourrait tout à fait être un tic de langage ou une sorte de signe de noblesse mais, encore une fois, la veille, Nehëmah m’a parlé en utilisant la première personne. Or j’ai comme l’impression que ce « nous » est sortie beaucoup plus naturellement que le « je ». Sous le coup de la colère, on a tendance à parler instinctivement et nos habitudes ressortent.

Si mes observations sont exactes, il me reste deux possibilités : Soit Nehëmah est victime d’une sorte de maladie mentale. Soit, ce « nous » a un rapport avec son pouvoir.

Franchement, je miserai plus pour la seconde possibilité. Un malade ne peut pas réfléchir assez bien pour pouvoir creuser un escalier dans la neige sans faire effondrer toute la structure. Immédiatement, je pense à Habis. Je ne supporte pas ce loup et ses manières rustres mais peut-être que le pouvoir de Nehëmah ressemble au sien. Peut-être qu’il possède plusieurs personnalités et que, contrairement à Habis, elles peuvent communiquer dans le même intervalle de temps.

Il faut que je sois sûre. Si je me trompe, je vais avoir l’air idiote mais, de toute façon, il me prend déjà pour une enfant sans utilité.

Tout en gardant une distance un peu plus importante que précédemment, je m’approche à nouveau de Nehëmah et lui parle d’un ton on ne peut plus énervé.

— Écoute-moi bien, Monsieur « Je sais comment faire un chemin stable ». Premièrement, on ne grogne pas sur quelqu’un sans même s’être présenté. Deuxièmement, je ne sais pas si tu es au courant mais ce mur de neige fait sans doute plusieurs mètres d’épaisseur et Nehëmah s’écroulera de fatigue avant de réussir à atteindre le sommet. Alors si tu ne veux pas de mon aide, grand bien te fasse, c’est vous qui voulez vous barrer d’ici pas moi, mais ne vient pas pleurer quand vous vous évanouirez dans la neige parce que vous n’avez pas pris de pause. Pour information, je ne suis pas guérisseuse et je ne suis pas un louveteau non plus.

A vrai dire, je m’attendais à ce genre de réaction. Une tête de mule, voilà ce qu’il était. Ce qu’ils étaient. L’autre n’avait pas répondu mais Nehëmah ne m’avait pas démentie. J’étais donc sur la bonne piste. Deux personnalités cohabitaient dans le corps de ce loup qui devenait, à mes yeux de plus en plus intéressant.

Cette petite victoire ne m’empêchait pas de traîner des pattes en me dirigeant vers le fond de la caverne, à la recherche d’eau.

— Les mâles et leur fierté, je vous jure…

Il y a certaines choses qu’il faut savoir dire à haute voix. Des sortes de vérités générales.

En m’approchant de ce que je pensais être le fond, je remarquais qu’une sorte de petit tunnel descendait un peu plus profondément sous la terre. Il pourrait s’agir d’un cul de sac, ou d’une nouvelle sortie. Peut-être y trouverai-je de l’eau. Obéir à un ordre de ces loups m’énervait mais, en même temps, à ce train-là, nous n’étions pas encore sortis. Au moins, cette recherche avait le mérite de m’occuper.

Je sautais dans le trou, juste assez large pour moi et avançais prudemment. Je n’entendais rien et ne voyais presque rien. Me fiant à mon odorat, j’essayais de trouver de quoi me désaltérer mais rien ne se rapprochait de prêt ou de loin à de l’eau. A la réflexion, la source la plus proche était sans doute la neige qui bloquait l’entrée.

J’étais en train de faire demi-tour quand j’entendis un craquement. Il était léger et je choisis de continuer à avancer. Une fois de retour dans la salle où se trouvait Nehëmah, j’entendis à nouveau ce même son. Le loup ne faisait toujours pas attention à moi et semblait beaucoup plus intéressé par la neige qu’il était en train de creuser.

La neige… Le craquement !

Promenant mon regard sur le mur qui nous séparait de l’extérieur, je me concentrais pour identifier la source du bruit. Un autre. Encore un autre. La neige craquelait. Elle allait céder et nous libérer le passage. La tempête devait être terminée. Mais Nehëmah ne bougeait toujours pas. Il devait entendre ces craquements depuis le moment où il avait commencé à creuser et ne faisait pas la différence avec ceux qui venaient de se produire.

J’avais d’abord prévu de l’appeler. De lui dire d’ici qu’il ferait mieux de se décaler s’il ne voulait pas finir ensevelit mais un nouveau craquement retentit. Beaucoup plus fort que les précédents. Même s’ils l’avaient entendu, les loups n’auraient pas le temps de se décaler…

Par un réflexe totalement idiot et suicidaire, je me mis à courir vers le mur et poussa violement Nehëmah plus loin. La dernière chose que je vis est une énorme quantité de neige me tombant dessus.

En sentant la neige me tomber dessus, je m’insultais de tous les noms. Si mes frères et sœurs apprenaient que j’ai risqué ma peau pour un loup aux multiples personnalités qui ne m’apprécie guère, j’allais en entendre parler jusqu’à la fin de mes jours. Encore faudrait-il pour ça que je sorte de là vivante.

La neige commençait déjà à m’engourdir et à m’empêcher de respirer quand je la sentie bouger. Rapidement, la lumière me heurta, m’obligeant à cligner des yeux tandis que je sentais qu’on me tirait vers l’extérieur.

Quand je repris mes esprits, j’étais allongée à l’entrée de la caverne. Je mis quelques secondes à reprendre ma respiration et à me lever. Nehëmah était un peu plus loin et semblait sur le point de partir. Contre toute attente, il avait choisi de m’aider. Rien que pour ça, je choisi de le laisser tranquille puisque, à l’évidence, c’était ce qu’il voulait.

— Merci beaucoup.

Une vie pour une autre. La dette était payée avant même d’être actée. Tant mieux, je n’aimais pas avoir de dettes.

Sur ce, je courus vers le Sud. Après tout ça, un check-up médical ne serait pas de trop. J’espère qu’Ikhaïl ne me demandera pas ce qu’il s’est exactement passé. Ça risque d’être compliqué à expliquer.