Un hurlement. C’est Alavis. Il a dû repérer un intru.

Je me dirige immédiatement vers le trajet de patrouille de la sentinelle en question. La plupart des vagabonds qui entrent sur notre territoire s’enfuient au premier hurlement mais il existe des exceptions. Certains sont plus têtus que d’autres et, dans le pire des cas, on pourrait tomber sur un Akatsuki.

Après quelques minutes de course, je retrouve mon collègue en face d’un vagabond, décidé à se battre. Plus jeune que moi, Alavis me laisse prendre les devants.

— Quitte ce territoire immédiatement ou nous te tuerons.

Il n’y a pas discussion possible. Si les Yuubae veulent gagner en importance et en autorité, ils ne doivent pas faire de cadeau aux imbéciles qui viennent se promener sur leur territoire.

Le vagabond n’a pourtant par l’air de voir les choses de cette manière. Il grogne et me saute dessus. Il a l’air jeune. Tant pis pour lui.

Alavis s’apprête à intervenir mais il se rend vite compte que ce ne sera pas nécessaire. Le vagabond est plus petit et moins fort que moi. Je le soumets rapidement et lui brise la nuque d’un bon coup de mâchoire.

Du sang ruisselle sur ma fourrure. Je déteste ça. Si je ne me lave pas tout de suite, je vais garder des traces pendant des semaines. Sans parler de l’odeur. L’odeur des vagabonds ne doit pas entrer dans la tanière.

— Va prévenir Lunaire de l’intrusion. Je vais continuer la patrouille au niveau de la plage rocheuse.

Alavis hoche la tête et pars en direction de la tanière. De mon côté, je me dirige vers la plage, espérant ne pas repérer d’autre vagabond et donc avoir le temps de retirer le sang qui tache mon encolure et mes pattes.

Quelques mètres avant la plage, l’odeur d’Henael me parvient. Pendant une seconde, j’hésite à la déranger puis je me dis que lui dire ce qui vient de se passer peut toujours être utile, même si Alavis est partie prévenir Lunaire, notre nouvelle Veilleuse.

Je m’approche donc du bord et m’assoie à ses côtés. Son serpent me fixe mais je n’y prête pas attention. J’ai l’habitude. A chaque fois que je m’approche de notre alpha, le reptile ne me lâche pas du regard, comme s’il attendait impatiemment que je saute sur sa maîtresse pour avoir une bonne raison de m’attaquer. Je ne m’en fais pas. Je suis sûr qu’Henael contrôle parfaitement son partenaire à écailles.

— Je reviens de patrouille. Un vagabond est entré sur notre territoire. Il ne posera plus de problèmes.

Le sang et l’odeur sont assez clairs. Il n’y a pas besoin d’explications à rallonge.

— J’ai envoyé Alavis prévenir Lunaire. S’il y a d’autres intrus, elle saura s’en occuper.
C’était évident. Lunaire n’était pas devenu Veilleuse pour rien. Henael n’a pas fais son choix au hasard.

Ça me rend triste de lui parler comme ça, si solennellement. Comme une sentinelle doit parler à un alpha. Il m’arrive de vouloir retourner au temps où je pouvais simplement lui parler d’ami à amie. Où je n’aurais pas besoin d’attendre qu’elle me réponde pour aller me débarbouiller. Où je pouvais être naturel en quelque sorte.

Je m'attendais à cette question et soupire. Je connais la méthode des Hikari mais elle est compliquée à appliquer en cas d'attaque. Je ne risquerai pas d'être blessé ou de laisser une sentinelle plus jeune se faire blesser parce que j'ai voulu laisser la parole à un vagabond avant de contre-attaquer. Moins elle a de blessés, mieux la meute se porte.

Si l’intrus s'était soumis, j'aurais écouté ce qu'il avait à dire. S'il avait quelque chose à dire d'ailleurs.

— Je n'ai malheureusement pas eu le temps de le savoir. Il nous a immédiatement attaqué. Je sais que la méthode de ta mère te tient à cœur mais j'ai préféré éviter qu'Alavis soit blessé. Il vient de terminer son apprentissage, il est encore trop jeune.

Un nouveau soupir alors que je m'avance vers l'eau. Je trempe mes pattes pour faire partir le sang. Je ferai le reste plus tard. Se laver devant son alpha, qui plus est quand elle est une femelle, n’est pas vraiment la plus grande des classes.

Je me tourne à nouveau vers Henael et ajoute.

— Crois bien que je regrette le temps des Hikari autant que toi et que j'aimerai faire revenir cette période. Malheureusement, que pouvons-nous faire d'autre que nous endurcir dans des conditions pareilles...

Si seulement les Akatsuki n'avaient jamais existé. Si cette Nilaya ne s'en était pas prise à nous. Mes parents seraient peut-être encore en vie aujourd'hui. Ainsi que notre ancienne alpha.

J’acquiesce mais Henael ne l’a surement pas vu. Elle est déjà retournée dans ses pensées. Je ne me souviens pas qu’elle parlait si peu quand nous étions petits. Louveteaux puis apprentis et même sentinelles au sein des Hikari. Henael et moi avons suivi un parcours assez similaire. Je pensais la connaître mais l’Henael que j’ai connu n’est plus celle que j’ai devant moi. Après la mort de sa mère, elle a changé, tout comme beaucoup d’entre nous. Mais, alors que tout espoir avait disparu, elle a pris la place qui lui revenait et a crée les Yuubae.

Je lui serais toujours redevable pour ça. Elle a sauvé beaucoup de loups en assumant la place d’alpha. Malheureusement, j’ai peur qu’elle se soit un peu perdu en route. J’ai moi-même changé depuis. Moins taquin, plus sérieux. Moins joueur, plus déterminé.

Sortant de l’eau, je m’approche d’Henael et dit doucement :

— Il n’est pas bon de vivre dans le passé. Pas plus que dans la solitude.

Je ne sais pas vraiment à qui sont adressés ces mots. A Henael ou à moi-même.

Avant de la dépasser pour retourner là où Alavis a trouvé le vagabond, je reprends, d’une voix plus assurée.

— Je vais voir si Lunaire a besoin de moi. À plus tard, Henael.

Sur ce, je reprends ma marche, espérant que notre alpha a quelqu’un sur qui elle peut s’appuyer, tout comme je peux m’appuyer sur ma sœur. Si ce loup existe, il doit s’agir de Lunaire ou de Kyoshi.