02.10 : Aucune proie.
03.10 : 2 proies.
08.10 : Aucune proie.
09.10 : 1 proie.
10.10 : 1 proie.
12.10 : 1 proie.
13.10 : 1 proie.
14.10 : 1 proie.
15.10 : 0 proie.
16.10 : 1 proie.
17.10 : 0 proie.
18.10 : 0 proie.
19.10 : 1 proie.
20.10 : 1 proie.
21.10 : 2 proies.
22.10 : 1 proie.
23.10 : 0 proie.
24.10 : 1 proie.
25.10 : 0 proie.
26.10 : 0 proie.
27.10 : 1 proie.

Pando

Lied s’est finalement décidée à ne plus aller dans le Nord. Elle y a chassé pendant un mois — si ce n’est plus — mais la route est épuisante. Elle a réalisé, avec le recul, que la marche pour se rendre sur place la rend moins performante face aux proies. Peut-être. Il y a bien quelques doutes qui subsistent dans sa tête ; il se peut qu’elle soit simplement nulle dans la discipline. Pourtant, ce n’est pas faute d’essayer. Elle apprend avec sa mère, certes, mais aussi avec Hélena. Elles sont toutes deux douées. Il y a forcément une raison pour que Lied demeure un peu médiocre.

Les chasses à proximité de la maison sont donc une espèce de « période d’essai ». Après quoi, Lied pensera à son sort ; continuer à chasser quotidiennement pour se perfectionner ou changer de domaine d’expertise pour ne plus être humiliée. Les premières heures de la journée semblent donner raison à la deuxième option ; elle perd de vue le gros lièvre qu’elle pourchasse, puis lâche son poisson après avoir reçu un coup de queue.
Bref. Un fiasco.

Pando

Elle pense rentrer après ces deux échecs cuisants mais sa fierté gronde. Il lui faut au moins une proie. Juste une. Même un rat ou une musaraigne, peu importe. Elle ne veut pas revenir les pattes vides alors que sa mère l’attend. Elle veut rendre sa mère heureuse, Lied. Pas question de la décevoir ou de ne pas faire honneur aux enseignements reçus de sa bouche.
De nouveau motivée, l’adolescente s’immobilise calmement. Elle est face au vent, ce qui lui permet de scruter les environs avec une précision effrayante. Il y a au moins un sens qui ne lui fait jamais défaut : son odorat. Elle ferme les yeux, gonfle ses poumons de l’air chargé de relents et chasse progressivement les animaux dangereux ou imposants ; non pas que la biche ne lui fasse pas envie, mais Lied ne veut pas mourir immédiatement. Ses paupières sursautent à une odeur musquée. Un parfum inconnu. Curieuse, Lied foule la terre à pas discrets jusqu’à dégoter la fameuse créature. Elle a une drôle de forme. Une espèce de mélange entre un ours et une fouine.

La louve se glisse dans le sillage de l’animal, veillant à demeurer face au vent pour ne pas se trahir. Elle saute sur le dos avec une grâce très relative, se retrouve sur le sol quand le glouton roule sur le côté pour se débarrasser d’elle ; elle lui plante les crocs dans le cou, mord la chair jusqu’à ce que le sang envahisse sa gueule. Finalement, la bestiole s’écrase durement sur elle. Il ne respire plus. Seul souci : Lied est coincée dessous. Elle met une bonne demi-heure à se dégager, puis réalise que le glouton lui-même était occupé à se nourrir sur un renard roux. Il ne lui reste plus qu’à ramener ses deux merveilles à la maison !

Pando

Ses lèvres sont scellées. Lied observe le monde depuis un petit promontoire, reluquant les feuilles qui bougent doucement avec le vent. Tout est calme. C’est apaisant. Son esprit bouillonnant parvient à trouver la paix dans ces rares moments. Elle n’a rien à dire, rien à faire. Elle pensait chasser en se levant, ce matin. Voilà quelques jours que les deux louves se nourrissent sur les carcasses des grosses proies ramenées par la plus jeune ; il est temps de reprendre les activités, de se remettre sur la voie des chasseurs. Pourtant, le cœur de Lied n’y est pas. Elle est fatiguée, ce matin. Les cauchemars prennent de l’ampleur. Un peu plus chaque soir, en réalité.
Si seulement son père était là, auprès d’elles...

Pando

« Ça va aller, Maman. Je vais y arriver. »

La mère regarde son bébé avec une once de peur dans les prunelles. Elles sont installées en surplomb de la rivière, cachées dans un épais bosquet de végétation. Les feuilles caressent leurs pelages blancs qui jurent avec le paysage. La mère, la fille. Elles sont pareilles. À ceci près que Lied a — dans les yeux — une passion qui s’est éteinte depuis longtemps dans ceux de la plus âgée. Lied a les muscles bandés. En bas, une vieille biche se désaltère. La jouvencelle, forte de ses réussites récentes, se sent à la hauteur pour prendre des proies plus imposantes. Mais pas seule. Il faut que Maman l’aide.
Elle s’élance la première en contournant soigneusement l’animal. Dissimulée par les fourrés, elle se place à sa droite. Elle connaît sa tâche : rabattre la biche vers sa mère qui vient de se poster à gauche. Après quoi, la plus expérimentée se chargerait d’achever la proie. Les étapes se déroulent avec une précision millimétrée. En quelques minutes, la vieille biche repose sur l’herbe — morte, évidemment.

Pando

Lied ronronne intérieurement. Elle est en forme, aujourd’hui. Pleine d’énergie après avoir câliné Hélena en passant, la jeune femelle — de plus en plus proche des « grands » — rampe doucement dans la végétation. Elle a les yeux quasiment fermés, le visage tiré par la concentration, les lèvres serrées, les muscles bandés. Elle a pisté soigneusement, en ignorant le soleil, le vent un peu agressif, les odeurs variées, les bruits inquiétants. Elle n’a eu de regard que pour l’animal recherché : une hermine. Elles sont rares dans les environs. Lied est à la fois excitée à l’idée d’attraper un animal peu commun et la culpabilité d’abattre une si belle créature.
L’hésitation ne la prend pas longtemps. Une fois en place, la jeune louve avance à la manière d’un prédateur. Ses crocs se referment rapidement sur la bête condamnée.

Pando

Très contente de la proie débusquée, Lied l’enterre précautionneusement sous un arbre spécial : il a un tronc noueux qui ressemble à un amas de visages sévères. Après quoi, ayant décidé d’offrir son hermine à Hélena, la jeune femelle reprend la chasse pour nourrir sa mère. Il faudra trouver une proie pour elle-même, également.
Elle met un moment à relever une odeur particulière : un lièvre sauvage. Lied se presse dans la direction concernée, l’air extrêmement concentrée. L’animal paraît l’attendre à quelques pas des galeries dans lesquelles il séjourne. Lied ne se fait pas prier ; elle se jette dessus lourdement, le rate, lui court après, l’attrape, l’abat jusqu’à ce que le sang dégouline dans sa gorge. Elle entreprend ensuite de récupérer son hermine, la déposer sur le chemin de Hélena, puis rentre chez sa mère.

Pando

Je me suis un peu brouillée avec Maman, hier soir. Elle est fière de mes progrès en chasse, bien sûr, mais pense que je veux trop en faire; que, par conséquent, je m’expose à des dangers. Je suis moins prudente, je laisse des marques de mon passage dans mon sillage, j’oublie de couvrir mon odeur. Elle est fâchée. Il paraît que c’est à cause de ma meilleure amie. Que je me prends pour une « louve normale » depuis que nous sommes arrivées ici, au point de faire l’impasse sur les choses que Maman m’a enseigné.
Je dois reconnaître que j’ai été imprudente. Quant à savoir si la faute peut être imputée à Hélena, je ne suis pas du même avis ; elle m’a rendue mon âme d’enfant, oui. Elle m’a ramené à l’âge de l’insouciance, mais parce que c’est mon âge. Ces envies-là couvent dans mon cœur depuis que je suis née. Je veux courir avec innocence, ne pas me méfier, ne pas avoir peur d’être tuée.

Maman ne peut pas comprendre ?

Je soupire. J’ai décidé de m’éloigner un moment. Elle semblait fatiguée, Maman, à l’aube. Pour la laisser dormir, j’ai marché ; je me demande parfois si elle n’en a pas assez de fuir sans arrêt. Si je n’étais pas là, si je n’étais pas née, Maman aurait sans doute pu se mettre à la recherche de mon père. Ils auraient pu se retrouver, refonder une famille au calme. Au lieu de quoi, la voilà occupée à me cacher en permanence.
Je pousse rageusement un caillou qui disparaît dans le buisson le plus proche. Les animaux s’agitent un peu à cause du bruit mais le calme revient presque aussitôt. Les oiseaux murmurent sur mon chemin, un peu comme s’ils se racontaient des secrets auxquels je n’ai pas accès. Je me sens seule. Vraiment seule. Parce que je suis déchirée entre ma mère — celle qui me donne les plus belles années de sa vie — et Hélena, ma meilleure amie. Ma sœur de cœur.

Je vais chasser un peu, au final. Peut-être que cela chassera ma morosité. Ou pas. Mais au moins, cela aura le mérite de remplir mon estomac. Je laisse mes sens s’étirer comme les fils d’une toile d’araignée. Ils vibrent de la même façon quand ils sont titillés par une proie fébrile. Il me faut un moment pour tisser un monde sensoriel soigné, puis pour deviner aux sons et aux odeurs ce que sont les animaux qui m’entourent. Il y a un groupe imposant de biches — au moins deux cerfs, à en juger par le son des bois qui s’entrechoquent —, quelques rongeurs, des oiseaux qui frappent l’écorce des troncs, des renardeaux qui glapissent… Je préfère m’approcher des rongeurs. Je n’aime pas chasser les grosses proies seule, les oiseaux sont trop rapides et les renardeaux sont souvent surveillés par des parents agressifs.

Je mets la patte sur un jeune loir à peine nubile. Je n’ai aucun mal à le mettre à mort. Il est agile mais un peu hésitant, ce qui lui dessert évidemment. Je prends soin de le dépouiller calmement sur place, de ne manger que la viande en délaissant une bonne partie de la peau couverte de fourrure. C’est trop indigeste. Je nettoie les os — les plus petits étant dans mon estomac —, dévore jusqu’à la dernière parcelle de chair rouge, puis repars.

Pando

Je regarde la ligne d’horizon. Elle s’étire, bouge avec les nuages qui passent au-dessus puis derrière. C’est une danse envoûtante qui se joue loin de moi. Loin de nous. J’ai laissé Hélena il y a une heure, après une nouvelle session de câlins, jeux au bord de l’eau. On ne peut plus se baigner, il commence à faire froid. Pas beaucoup mais assez pour nous dissuader. C’est surtout l’eau qui est glacée, sans les rayons brûlants du soleil pour la réchauffer. Je pêche moins, chasse plus souvent. Là encore, c’est une question de confort. Je rentre gelée jusqu’aux os après avoir pataugé pendant des heures ; Maman répète que je peux prendre une sale maladie si je continue. Je ne veux pas devenir un fardeau pour elle, donc je me résigne à chercher mes proies à quai.

Une heure que je suis seule, du coup. J’ai eu le temps de respirer le vent, d’écouter les sons qu’il m’apporte des environs. J’ai eu l’occasion de remonter un chemin imaginaire vers un faisan. Je prends mes aises, désormais. Je n’ai plus peur de m’attaquer à des proies plus importantes, même si je garde les cervidés pour les chasses avec Maman. Avec Hélena, aussi, quand ils sont blessés ou mourants.
Le faisan est à mes pieds, mort. Partiellement déplumé. J’ai initié mon ouvrage — lui retirer une à une ses jolies plumes — il y a quelques minutes. Je vais le finir avant de rentrer.

Pando

Je regarde l’oiseau nu. Il a une drôle de tête, l’air un peu bizarre. Je me colle l’idée de le montrer à Hélena dans le crâne ; c’est ma meilleure amie, après tout. Elle aussi est friande des choses marrantes. Je prends le chemin du retour, les yeux fixés sur la végétation. Le volatile pend dans ma gueule, bien que je fasse attention à ne pas l’abîmer. Je n’ai pas l’intention de le manger moi-même, c’est un cadeau pour Maman. À proximité de la tanière où je dors avec elle, j’entends son ronflement régulier. Je me glisse dans l’alcôve, la regarde dormir un moment, pose mon trophée, puis m’allonge à ses côtés pour piquer une sieste. Tant pis. J’attraperai un autre faisan pour le montrer à Hélena.

Pando

Maman dort à mes côtés. Je la secoue un peu parce qu’il est l’heure. Elle râle, souffle du nez. Je me marre en redoublant d’effort. Elle ouvre un œil, grogne à cause du soleil. On a dormi dehors, au bord de l’eau, après avoir discuté longuement. Je m’étire, elle aussi. Nos muscles sont froids. Je lui propose de jouer à cache-cache pour nous réchauffer avant la chasse.

Maman a repéré une harde il y a quelques jours. Elle suit leurs mouvements avec soin, sans jamais se trahir. Elle a remarqué qu’ils viennent s’abreuver chaque après-midi un peu plus haut. On s’est donc postées en contre-bas — face au vent — le temps qu’ils arrivent. On peut entendre les sons de leurs conversations. Je joue avec Maman pendant un moment, avant qu’on ne se lance enfin. J’écoute attentivement ses directives, m’occupe de rabattre précautionneusement la femelle choisie sur Maman, puis la course à ses côtés jusqu’à ce qu’on parvienne à la faire chuter. Maman la maintient, je l’abats.
Une affaire rondement menée.

Pando

Je bâille dans les poils de Maman. Elle m’adresse un sourire doux, caresse ma fourrure similaire à la sienne ; il me reste un peu de rouge par endroit. C’est le sang de la biche abattue. Nous l’avons mangé soigneusement, ne laissant que très peu de restes destinés aux animaux charognards, puis nous nous sommes éloignées vers l’eau pour boire. Depuis, nous avons recommencé à jouer, dormir, somnoler, jouer à nouveau. Ces épisodes sont rares.

Pando

Je ronchonne à voix basse. La journée promet d’être ennuyeuse à mourir ; le ciel est chargé de nuages sombres. Maman m’a mise en garde. Elle ne peut pas sortir les jours de pluie, ou alors seulement quelques minutes. Elle ne veut donc pas que je m’éloigne beaucoup parce qu’elle sera bien incapable de venir me chercher. Je soupire. Ce n’est pas comme si j’avais l’intention de me perdre dans les bois sous des trombes d’eau, après tout. Je me promène un moment puis rentre pour esquiver le mauvais temps.

Pando