La patrouille d’aujourd’hui n’en était pas vraiment une. Ou plutôt, elle n’eut pas le temps de l’être.

Je suis partie avec Alavis pour patrouiller le long de la frontière, vérifier l’éventuelle présence d’inconnus ou d’odeurs étrangères. Bref, le travail de sentinelle. Alors que la plupart des patrouilles sont plutôt silencieuses, nos oreilles dressées à la recherche du moindre son inhabituel, les rondes que je fais avec Alavis sont toujours bruyantes.

Mon ancien apprenti n’a de cesse de me demander des conseils, d’approuver ses faits et gestes, de demander mon avis sur tel ou tel évènement… Aujourd’hui, le sujet est la montée en grade de Lunaire. Si la plupart des loups sont vite passés à autre chose, la nouvelle Veilleuse est toujours au centre des conversations des sentinelles.

– L’organisation des patrouilles est plutôt bien non ? Je ne comprends pas pourquoi les plus anciens continuent de se méfier.
– Je suis d’accord, répondis-je. Nos patrouilles sont bien organisées. Ça se voit que Lunaire se donne à fond dans son travail mais ça ne suffit pas aux anciens. Ils sont bornés tu sais. Ils n’aiment pas quand les choses changent.

Ça faisait un moment que les Yuubae n’avaient pas de Veilleuse. Les patrouilles étaient donc organisées un peu à la va vite. Chaque sentinelle partait patrouiller quand il le voulait. Aujourd’hui, Lunaire organise les patrouilles, envoie un certain nombre de loup pour un quota de trois à quatre patrouilles par jour. J’apprécie ce nouveau système mais il ne fait pas l’unanimité.

Alavis allait reprendre quand il se stoppa net. Il était tendu, effrayé. Personnellement, l’odeur qui flotte dans l’air ne m’effraie pas mais m’inquiète plutôt. Pourquoi Lunaire est-elle venu jusqu’ici ? Nous n’avons pas terminé la patrouille.

Quand la Veilleuse arrive en face de nous, elle m’explique rapidement que je dois la suivre tandis qu’une autre sentinelle prend ma place, au grand dam d’Alavis qui n’avait pas fini de parler.

Je lui fais un signe de queue en guise d’au revoir et suit la louve blanche.

Une demi-heure de silence plus tard, je remarque que Lunaire ralenti la cadence. Elle semble stressée. Pourtant c’est moi qui devrais l’être. On ne se fait pas appeler par l’alpha tous les jours. J’espère qu’il ne se passe rien de grave.

– Tu seras pr- efficace, hein ?

Elle s’est vite rattrapée mais j’ai tout de même compris ce qu’elle voulait me dire. Je souris légèrement.

– Je le serais.

Efficace et prudent. Bien que je ne sache pas exactement de quoi il en retourne, je comprends bien que je vais être envoyé en mission. Une mission pas ordinaire.

Quand nous entrons dans la tanière, Henael est seule. Je sens le regard de son serpent sur moi et l’ignore. Cet animal me file la chair de poule.

Je me penche en avant dans une simple révérence en guise de soumission à mon alpha puis m’assoie à côté de Lunaire, attendant avec impatience la suite des évènements.

Entendre Lunaire m’appeler son « champion » me donne un peu la sensation d’être envoyé à la mort mais j’oublie vite cette idée alors que l’espion évoqué nous rejoint. Je l’ai déjà croisé à la meute, l’ai déjà aperçu lors de mes rondes, mais ne lui ai jamais parlé. Il n’a jamais cherché à m’adresser la parole non plus d’ailleurs. Si, comme je l’ai compris, nous avons une mission à deux, ça risque d’être folklorique…

Les explications d’Henael viennent finalement et j’ouvre grand les oreilles. Une mission en territoire ennemi, rien que ça. Ce n’est pas vraiment mon domaine mais si Lunaire m’a choisi pour aider Nehëmah à revenir sain et sauf, alors je m’acquitterai de ma mission.

Il suffit d’écouter notre Alpha pour comprendre qu’elle n’a que peu d’espoirs quant à la bonne entente du duo que je formerai avec l’espion. Je le prends comme une attaque personnelle. Certes, je suis quelqu’un de sociable et il m’arrive de trop parler mais je sais faire la différence entre la vie à la tanière et le travail.

Si Nehëmah ne souhaite pas me parler, on fera comme ça. Nous sommes tous les deux adultes, on ne va pas se « chamailler » juste parce que nos caractères sont peu compatibles.

Alors que je pensais le temps des longs discours terminés, Lunaire se tourne vers moi. Ses paroles sont graves et pleines de sens. Cette mission pourrait nous couter la vie et elle le sait parfaitement. Elle le savait quand elle m’a choisi et elle le savait quand elle est venue me chercher tout à l’heure. Soudain, la demande qu’elle m’a fait en marchant un peu plus tôt me semble plus lourde de sens. Notre Alpha a beau dire que, s’il y a un problème, nous n’avons qu’à passer pour des vagabonds et rentrer, tous savent que les méthodes des Akatsuki ne sont pas les mêmes que les nôtres.

Quand ils voient un intru sur leur territoire, ils le tue.

– Pas de questions de mon côté. Je ne suis pas espion mais je ferai en sorte de m’acquitter de ma tâche lors de cette mission. Dis-je, à l’intention des deux femelles.

Je me tourne alors plus particulièrement vers Lunaire et prends un ton plus joueur.

– Tu ferais mieux de ne pas t’inquiéter pour moi. Tu n’as pas le temps pour ça. Je te l’ai déjà dit : Si tu ne fais pas ton travail de Veilleuse correctement, je prendrai ta place avant que tu n’aies eu le temps de voir le bout de ma queue.

Après cela, je me contente d’un hochement de tête envers Nehëmah. C’est lui l’espion. Je suivrai ses directives, il n’a pas à avoir de doute là dessus. Je suis plus un garde du corps qu’autre chose.