Ce matin, j’ai eu du mal à me lever. Habituellement, je suis toujours heureuse d’avoir la chance de pouvoir m’éveiller au sein de la meute mais, aujourd’hui, mon humeur est maussade. Presque aussi maussade que le temps.

Le ciel est d’un gros orageux. Les nuages s’accumulent et forment des cumulas qui ne tarderont pas à nous amener de la pluie. J’ai de la chance de ne pas être sur le terrain neutre, sans endroit pour m’abriter. J’ai de la chance d’être chez moi, avec ma famille. Alors pourquoi ne suis-je pas aussi heureuse qu’à l’accoutumée ? Parce que j’ai l’esprit embrouillé. Rien ne va plus en ce moment. Trop de choses sont arrivées. Trop de choses qui n’auraient pas dû se produire.

À l’extérieur de la tanière, plusieurs loups s’occupent à leurs taches quotidiennes. Un groupe de sentinelles part en patrouille tandis que les chasseurs s’organisent à l’approche de l’hiver.

Je laisse mon regard dériver. Il finit par tomber sur un loup avec qui je n’ai pas discuté depuis un moment : Mon oncle, Nefarian.

Et si j’allais le voir ? Après tout, m’approcher de ma famille m’a toujours fais du bien et je ne vois aucun de mes frères et sœurs dans le coin.

Je m’approche donc de mon oncle et m’assied à ses côté. J’essai de sourire comme je le peux mais comprends immédiatement que je n’arriverai pas à paraître naturelle.

— Bonjour, mon oncle. Comment vas-tu aujourd’hui ?

C’est très banal mais sa réponse me permettra de savoir si je le dérange ou non.

Je ne pense pas le déranger. Au contraire, mon oncle a plutôt l’air heureux de me voir mais… Il n’est pas dupe. Il a immédiatement compris que je ne suis pas au mieux de ma forme. Je l’entends dans sa voix. Une voix qui se veut normale mais où on peut tout de même entendre un soupçon d’inquiétude.

Après tout, Nefarian fait partie de ma famille, il est normal qu’il s’inquiète pour moi, surtout que je suis rarement d’humeur maussade. Mais, en même temps, je ne dois pas m’attendre à ce qu’il me comprenne totalement si je lui explique la situation. Il est un guerrier et le frère de ma mère. Il n’est pas du genre à montrer ses émotions pour un rien. De toute façon, tout ce dont j’ai besoin, c’est d’un interlocuteur.

– Tu me poses une question à laquelle tu connais déjà la réponse. Je ne suis pas au mieux de ma forme, psychologiquement.

Tu en as dis trop ou pas assez, Lumen. Explique-lui maintenant.

– J’ai quelques problèmes avec Xilven. Notre dernière entrevue s’est plutôt… Mal passée…

Je n’ai pas particulièrement envie que toute la meute soit au courant mais je sais que mon oncle gardera cette information pour lui. Mon père est déjà au courant et, de ce fait, ma mère surement aussi. C’est déjà bien assez.

Il veut des détails. Évidemment, n’importe qui voudrait des détails. En même temps, ne suis-je pas justement venu lui parler pour pouvoir vider mon sac ? Quand j’en ai parlé à papa, il m’a simplement répondu d’éviter Xilven. Que j’étais trop faible pour pouvoir lui faire face. N’ai-je pas été frustrée de cette réponse ?

Il est évident que le seul objectif de mon père est de me protéger mais ça ne change rien. Peut-être que je veux un autre point de vu sur la question. Le point de vu de quelqu’un qui arrive à parler avec Xilven. Parce que, on ne va pas se le cacher, même Kayraz n’arrive pas à communiquer avec sa fille adoptive. Je ne pense pas que ce soit parce qu’il ne soit pas son vrai père. Je pense que seule Nilaya est capable de comprendre l’esprit tordu de ma demi-sœur.

– Je rentrais du territoire neutre et je l’ai croisée. J’ai simplement voulu la saluer. Après tout, nous sommes sœurs.

Même si Xilven ne semble pas vouloir comprendre le sens de ce mot.

– Elle m’a répondu en invoquant l’une de ses biches démoniaques. Xilven est un danger. Pour tout le monde. J’ai peur qu’elle n’ait pas de limites et qu’elle n’hésite pas à s’en prendre à l’un d’entre nous si elle considère que notre utilité à la meute n’est pas évidente.

J’ai déjà expliqué cela. Mais peu importe le nombre de fois, c’est toujours aussi difficile. On ne devrait pas avoir ce genre de problème avec sa famille.

– Je ne veux pas créer de problèmes. Voilà pourquoi mes parents et toi êtes les seuls qui soient au courant. Je me fiche de ce qu’elle peut essayer de me faire. Je m’inquiète pour les autres.

Je commence à voir les limites de mon oncle. Il est désolé pour moi. Je peux le lire dans son expression faciale. Ou plutôt, il est désolé pour tous les loups qui auront à affronter Xilven à l’avenir. Parce qu’il y en aura. S’il y a bien quelque chose dont je suis sûre, c’est cela. Mais, malgré cela, Nepharian ne peut pas s’empêcher d’être également désolé pour ma sœur. Il ne veut pas dire quoi que ce soit qui pourrait envenimer leur relation. En même temps, je le comprends. Il doit bien être le seul, à part ma mère, à plus ou moins s’entendre avec Xilven.

Mais, à vrai dire, je pense que même ma mère n’arrivera pas à l’arrêter. Pas psychologiquement en tout cas. Si elle arrive pendant un combat et qu’elle veut le stopper, elle le stoppera. Comme elle l’a fait quand Habis s’en ait pris à Shimy. Mais elle ne pourra pas stopper Xilven a long terme. D’ailleurs, je me demande même si ma mère en aurait envie. Peut-être préfère t’elle se servir de sa fille comme d’une arme. Ou peut-être que l’amour maternel l’aveugle plus que de raison. Même moi, je ne peux pas répondre à cette question.

– J’en ai parlé à notre père et, je suis persuadée qu’il lui a déjà transféré l’information. A vrai dire, je ne pense pas qu’en parler encore avec maman serve à quelque chose. Ne t’en fais pas, mon oncle. Je suis heureuse d’avoir pu vider mon sac mais je ne veux pas que tu ais de problèmes à cause de moi. Si ça t’arrange, oublie ce que je viens de te raconter.

Et je sais bien qu’il ne demande qu’une chose : Que les problèmes disparaissent.

La décision de mon oncle semble irrévocable. Se rend-il compte seulement qu’une « discussion » avec Xilven ne pourra rien entraîner de bon ? Je doute réellement que ma sœur écoute quoi que ce soit, même si ça vient de lui. La preuve, maman lui a déjà parlé plusieurs fois et ça n’a jamais rien changé. Seulement, si elle se mets à menacer même les membres de sa famille, alors il est vrai que la situation est plus grave que jamais.

– Très bien. Je te fais confiance dans ce cas.

Je n’ai pas d’autre option. En ayant parlé de la situation à mon père et à Nefarian, j’ai lancé les dés.  C’est maintenant aux joueurs de choisir sur quelle case ils vont se diriger.

– Je ne t’embête pas plus longtemps, tu as sûrement du travail. Bonne journée mon oncle, dis-je en me levant et en me dirigeant vers la forêt, histoire de penser à autre chose.

Du travail je ne sais pas, mais il aura certainement besoin de réfléchir à comment il va aborder la question avec Xilven. Désolée mon oncle, moi aussi je n’ai pas très bien dormi cette nuit.