Cela faisait déjà plus de trois mois que j’étais officiellement devenue espionne et je sentais que je devenais de plus en plus productive. Mes sorties en terrain neutre ressemblaient de plus en plus à de véritables récoltes d’informations et moins à du repérage de terrain. J’étais particulièrement fière des informations que je réussissais à avoir sur les Shin’Kan grâce à la gentillesse naturelle, mais surtout, grâce à la naïveté de Vikya.

Aujourd’hui, les espions se réunissaient pour mettre leurs informations en communs. Il est parfois plus facile de comprendre l’importance de certaines choses quand on a déjà un semblant d’idée sur la question.

Laliona n’a pas beaucoup parlé. Contrairement à moi, il a l’habitude de se rendre sur le territoire des Yuubae mais il n’apporte des informations que quand il est certain de leur véracité. Au moins, aucun d’entre nous n’a le loisir de douter de la parole de mon frère.

Quand vient mon tour, je parle de Vikya, ce contact très bavard, et de ce qu’il m’a déjà appris sur le groupe de vagabonds. Je sais que mon frère n’approuve pas ma méthode mais j’espère que les informations que j’apporte pourront servir à la meute.

La réunion est sur le point de se terminer quand je vois les loups autour de moi s’incliner et se séparer comme si un signal leur avait été délivré. Il suffit que je me retourne pour comprendre d’où vient ce fameux signal.

Très vite, je me retrouve seule avec mon père. Même Laliona s’est éclipsé. Il n’a jamais été du genre très câlin. Du moins, pas en ma présence.

Tout sourire, je réponds, heureuse de la douce présence de mon paternel.

— Bonjour papa ! Très bien, merci. La réunion s’est très bien passée et j’ai l’impression que je m’améliore de jour en jour.

Alors que je termine ma phrase, toujours souriante, un détail me revient en mémoire. C’était il y a déjà un certain temps mais je n’ai jamais eu l’occasion d’en parler à quelqu’un. Xilven ne s’était pas approchée de moi depuis notre escarmouche dans les bois et je n’avais pas tentée de m’approcher d’elle non plus d’ailleurs.

Devais-je en parler à mon père ? Cette information lui serait-elle utile ou ne ferais-je qu’envenimer les choses avec ma sœur ? En même temps, si ça présence présentait vraiment un danger pour moi ou pour tout autre loup de cette meute, ne devrais-je pas immédiatement en parler avec un alpha ?

Je dois avoir l’air bizarre à réfléchir comme ça et finit par me jeter à l’eau.

— On pourrait aller plus loin ? Il y a quelque chose que je dois te dire, en privé.

Toujours aussi compréhensif qu’à son habitude, mon père accepte ma requête et nous nous éloignons un peu.

Une fois seuls, le doute me prend à nouveau. J'aime ma famille et ne veux pas envenimer les choses avec Xilven mais si elle représente un danger pour la meute, les alphas doivent être mis au courant.

— Voilà, il y a quelques jours, je revenais du terrain neutre et j'ai croisé Xilven. Elle m'a salué plutôt... Froidement.

Allez Lumen, il n'est plus temps de prendre des pincettes. Père ne pourra pas comprendre la gravité de la situation si je ne m’exprime pas clairement.

— Elle m'a menacé avec une de ses biches et m'a clairement fait comprendre que je n'étais pas à l'abri d'elle ou de son pouvoir. Mais, à vrai dire, je m'inquiète plus pour les autres que pour moi.

Si Xilven, qui est tout de même ma demi-sœur, me menace sans se poser de questions, je me demande bien ce qu'elle ose faire avec les autres membres de la meute.

J’hoche la tête devant la réponse de mon père. Ça pour être rebelle, Xilven l’est. Elle ne plie devant rien si ce n’est notre mère. Je me demande si elle comprend ne serait-ce que la notion de meute. Pour moi, c’est clair. Une meute permet aux loups qui la composent de vivre ensemble afin de s’entre aider, de vivre plus facilement. Jamais, au grand jamais, un loup ne devrait s’en prendre aux membres de sa meute. Mais ça fait longtemps que j’ai renoncé à comprendre ma sœur.

– Ne t’en fais pas, je ferai attention. Je ne m’approcherai plus d’elle.

Cette phrase m’emplie d’une tristesse sans nom. Comment peut-on dire qu’on ne va plus s’approcher d’un membre de sa propre famille ? Comment ?

– Je t’en prie papa, tu dois convaincre maman de lui parler. Je… On ne devrait pas devoir fuir un membre de sa famille.

Xilven est dangereuse, ce n’est un secret pour personne. J’ai peur que si elle continu comme ça, un jour, l’un d’entre nous en paie les frais. Nos loups sont courageux, téméraires et fiers. Quand j’ai fait demi-tour la dernière fois, beaucoup auraient choisi le combat. Nous aurions alors eu un mort sur les bras.

Je retiens difficilement des larmes qui veulent couler au coin de mes yeux. Cette situation m’attriste plus que je ne le pensais mais je dois rester forte. Si je faiblis, un jour, j’en payerais les frais.

Les mots de mon père sont difficiles à entendre. Je sais bien que je suis moins forte que Mahina ou Laliona. Je laisse cependant planer le doute sur Ikhaïl qui n'est pas le meilleur combattant de la meute.

Bref, je sais que je suis moins forte qu'eux mais l'entendre dire de la bouche de mon père ne le rend que plus réel. Je ne veux pas avoir l'air faible pour mes parents. Il ne faut pas que je le sois. Surtout que je ne suis pas sûre à 100% que ce que dise mon père soit vrai. Xilven, n'attaquera qu'avec une raison, certes. Mais je ne suis pas sûre que cette raison sera valable.

Soudainement, une autre information me vient en mémoire. J'avais prévu d'en parler à mes deux parents en même temps mais pourquoi ne pas aborder le sujet maintenant.

– Je comprends tout ce que tu dis et j'en ai conscience. Avant de te laisser tranquille, j'aimerai te parler d'un autre sujet.

C'est arrivé il y a seulement quelques jours et je n'ai pas encore pris de décision sur ce que je devais faire.

– Tu te souviens du groupe de vagabonds dont je t'ai parlé la dernière fois ? Il se trouve que mon dernier contact en date en fait partie. J'ai réussi à le faire parler mais il n'a pas l'air de savoir grand-chose. Il doit être plutôt nouveau dans le groupe. Par contre, il m'a proposé de les rejoindre. Au début j'ai pensé à refuser et continuer à essayer d'avoir de nouvelles informations par ma méthode habituelle mais si mon contact ne sait vraiment rien de plus, ça pourrait être une perte de temps.

Autrement dit, dois-je accepter l'offre et entrer chez les Shin'kan pour obtenir des informations plus internes ou laisser passer cette opportunité et peut être louper une information cruciale ?

Les explications de mon père sont claires que de l’eau de roche. Si claires, que je me demande pourquoi je n’y ai pas pensé plus tôt. J’ai tellement l’habitude de ne pas être reconnue que j’ai oublié que les meneurs ne sont pas à la même enseigne que les autres loups.

Je ne ferai plus cette erreur.

– Je suis désolée. Je comprends mon erreur. J’ai bien fait de te demander ton avis avant d’entreprendre quoi que ce soit.

Heureusement que je n’ai pas accepté la proposition de Vikya sans en référer à mon père qui est également mon supérieur et alpha. C’est une habitude que je vais conserver, on est jamais trop prudent.

– J’ai bien conscience que j’ai encore beaucoup à apprendre dans mon domaine mais je vais continuer à travailler. Je deviendrai une espionne dont tu pourras être fier, je te le promets.

Je ferai mieux de ne pas l’embêter plus longtemps. L’hiver approche et, avec lui, un temps plus difficile pour la meute où les alphas sont plus occupés que jamais.

Je réduis la distance qui me sépare de mon père et appuie mon flanc contre le sien avant de repartir vers le territoire neutre. J’ai du travail. Beaucoup de travail.