Cela fait quelques jours que je suis devenu le Veilleur des Yuubae. J'ai beau savoir ce que je dois faire, pour avoir vu Lunaire le faire des dizaines de fois, ça me fait toujours bizarre d'avoir ce rôle, d'être plus dans la direction, moins sur le terrain.

Je ne sais pas si c'est une bonne chose ou pas mais il m'arrive de me désigner moi-même pour participer à une patrouille. J'ai besoin de travailler aux frontières. Je suis fait pour ça. Mon corps a besoin de l'adrénaline du combat potentiel. Évidemment, je sais me rationner. Je participe donc à beaucoup moins de patrouilles qu'auparavant, remplissant alors les autres fonctions du Veilleur : Collecter et traiter les informations obtenues par les patrouilles et organiser les différentes rondes de la journée.

Aujourd'hui, c'est avec surprise et bonheur que j'ai accepté de patrouiller avec Henael. Pas que j'ai eu le choix. Elle est l'alpha après tout. Ce qui est d'autant plus surprenant. Comme moi, elle doit conserver l'envie de patrouiller malgré ses fonctions. Ou alors elle veut vérifier que je fais correctement mon travail. Ou un peu des deux.

Quand j'arrive à notre point de rendez-vous, Henael est déjà là. Ses propos me surprennent mais je me ressaisi très vite. Je prends un grand plaisir à pouvoir démontrer à mon alpha qu'elle a bien fais de me faire confiance en me confiant ce poste.

– Très bien. La patrouille de ce matin n'a rien remarqué de particulier mais j'ai dû faire partir un vagabond l'autre jour près d'ici. Nous allons donc patrouiller le long de la frontière en commençant par la plage rocheuse.

J'allais ajouter les consignes que je donne habituellement aux jeunes sentinelles telles que « Ouvrez grand vos yeux et vos oreilles » mais je me suis retenu à temps, me rappelant qui sera mon partenaire du jour.

Avec un signe de queue, j'indique à Henael la direction par laquelle nous allons commencer et commence à marcher, tous mes sens aux aguets.

La plage rocheuse est d’une tranquillité toute particulière aujourd’hui. Rien à l’horizon, pas un son, pas un murmure, pas un crissement mis à part le son, étouffé par la pratique, des pas des sentinelles du jour.

J’ai un peu de mal à rester aussi concentré que je pouvais l’être avant de devenir Veilleur. Les patrouilles devenant plus rare, j’ai tendance à les apprécier un peu trop, au point de jubiler intérieurement. Je ne comprends pas pourquoi tous les louveteaux ne veulent pas devenir sentinelle. Qu’y a-t-il ne mieux que pouvoir parcourir les innombrables paysages de nos frontières de jour comme de nuit ? Peut-être suis-je un peu idéaliste. Au moins, personne ne pourra me reprocher de ne pas aimer mon travail.

Un craquement retentit vers la droite alors que je fini cette pensée. Immédiatement, je tourne la tête vers le son qui ressemble à celui d’un morceau de bois écrasé. Une odeur vient de là. Une odeur qui n’est pas Yuubae. Je fais signe de la tête à Henael de me suivre, même si je suis persuadé qu’elle a, tout comme moi, senti l’odeur inconnu.

Je cours alors vers la gauche, là où quelques arbres ce trouvent à une dizaine de mètres de la mer gelée. Nous avons trop peu d’arbres dans la zone pour véritablement parler de forêt ou même de bois mais il faut croire que ça a suffit à l’intru pour indiquer sa présence.

Je m’arrête quand, entre deux arbres, je vois le loup inconnu. Un loup gris, mâle, un peu plus petit que moi. Il n’est pas très enrobé mais pas maigre non plus. La carrure habituelle d’un vagabond. Son odeur se mélange à celle de la glace et du froid. Il doit venir du territoire neutre du Nord.

L’inconnu me regarde fixement puis son regard passe derrière moi avant de revenir sur mon corps. Il doit se demander s’il a une chance de gagner si un combat se lance. On ne se demande pas ça si on n’a rien à se reprocher.

– Tu es sur le territoire de la meute Yuubae. Pars immédiatement et il ne te sera fait aucun mal. Reste et nous devrons te faire partir par la force.

Ma voix est dure mais claire. On ne fait pas dans la demi-mesure face à un intru. En même temps il a de la chance. S’il était entré chez les Akatsuki, il serait sûrement déjà mort.

C’est pile au moment où Henael me pousse que je remarque les autres odeurs. Mon attention était totalement focalisée sur le premier intru. Si bien que je n’ai pas sentis les autres. Cinq. Cinq intrus sur le territoire Yuubae. Ils ne semblent pas effrayés. Ils ne semblent pas avoir été pris en faute. On dirait bien qu’ils étaient bien au courant d’être sur notre territoire et que ça ne leur fait ni chaud, ni froid. A moins que ce soit justement leur objectif.

Aucun d’entre eux ne parle. Pas de menace, pas de justification. Juste quelques grognements vaguement agressifs. Grognements qui deviennent beaucoup plus soutenus alors que leurs regards se dirigent tous vers Henael.

Je lui jette un coup d’œil, préférant focaliser mon attention sur nos potentiels ennemis. On dirait qu’elle est en train d’activer son pouvoir. J’en ai déjà entendu parler mais je ne l’ai jamais vu en action. Ça pourrait être une expérience intéressante. Même si je préférerai qu’on évite le combat autant que possible. Aussi forts que nous puissions être, à cinq contre deux, ça va être compliqué.

Considérant que c’était la solution la plus sûre pour Yuubae, je lève la tête et hurle aussi fort que mes poumons me le permettent. Les sentinelles connaissent tous mon hurlement. J’espère seulement que certaines sont assez près pour pouvoir l’entendre et arriver à temps pour nous aider.

A peine ai-je baissé la tête qu’un des intrus grogne en ma direction et s’approche, désirant de toute évidence me faire payer mon acte.

Je grogne à mon tour, prêt à engager le combat.

– Si tu m’en donnes l’ordre, je me battrai, Henael.

Je sais que je suis sensé être chef de patrouille aujourd’hui mais la situation présente est plus grave qu’à l’accoutumée. Celle qui est disposée à choisir si nous devons risquer nos vies, ici et maintenant, c’est l’Alpha, pas le Veilleur.

La discussion n’est plus possible. Les yeux des vagabonds me fixent, leurs membres s’apprêtent à me sauter dessus, leurs mâchoires à se refermer sur mon encolure. Ils sont, pour l’instant, en surnombre mais ils ne savent pas combien de sentinelles vont débarquer. Ils pourraient perdre l’avantage à tout moment.

Moi non plus d’ailleurs, je ne sais pas combien de sentinelles vont débarquer. Une patrouille ? Composée de 2 loups ? 3 ? Personne ? Cette dernière possibilité me glace le sang. Je m’apprêtais à passer à l’assaut, voyant l’affrontement inévitable. J’ai toujours préféré être celui qui attaque. Celui qui contrôle la situation.

Je n’en eus cependant pas besoin. C’est Henael qui a attaqué en première. Alors qu’elle s’en prend à plusieurs vagabonds en même temps, les mordant à tour de coups de mâchoire, je rentre également dans la partie et saute sur l’intru qui me fixe depuis le début.

J’ai tout de suite le dessus. Il est bien moins fort que moi. Mais il n’est pas seul. Sans l’intervention de l’alpha j’aurais difficilement pu éviter l’autre loup. Heureusement, Henael l’affaiblit et m’ordonne d’aller chercher les sentinelles.

J’hésite pendant une demi-seconde avant d’acquiescer et de partir en courant. Henael est forte et son pouvoir redoutable. J’espère cependant que j’arriverai à temps pour l’aider.

Je m’arrête plus loin dans le territoire, me rapprochant de la tanière et hurle à nouveau. Je ne peux pas me permettre de retourner à la tanière chercher du secours et revenir. Ça prendrait trop de temps. Heureusement, la patrouille du soir arrive en courant vers moi, frais et dispo. Trois loups prêts à me suivre au combat.

Je leur explique très brièvement la situation et fait demi-tour pour retrouver Henael et les vagabonds. En espérant qu’il ne soit pas trop tard.

La première chose que je constate quand nous arrivons sur les lieux est qu’Henael va bien. Peut-être un peu fatiguée mais c’est uniquement parce que je la connais et que je l’ai vu, plus tôt dans la journée, en pleine forme que je peux arriver à cette conclusion. Elle sait parfaitement cacher sa fatigue comme bonne guerrière qu’elle est. Guerrière et chef.

De l’autre côté, les cinq intrus ne cachent absolument rien. Le pouvoir de l’alpha les a visiblement affaiblis. Ils tiennent encore tout à fait sur leurs pattes mais ils ne résisteront pas longtemps face à trois loups frais et dispo. Ne m’étant pas réellement battu tout à l’heure, je suis également tout à fait apte à leur faire regretter leur intrusion. C’est fou ce que ça fait du bien de ne plus être inférieur en nombre.

Cette fois-ci, la menace d’Henael fait mouche. Les cinq intrus se regardent entre eux et, toutes dents dehors, se mettent à reculer avant de fuir en courant. Du moins c’est ce qu’il parait.

– Alavis, suis-les de loin. Vérifie qu’ils passent bien la frontière. Si jamais tu repères quelque chose d’anormal, ne tente rien. Préviens-moi immédiatement.

La jeune sentinelle hoche la tête et pars dans la même direction que celle prise par les intrus. Je me tourne alors vers les deux sentinelles restantes.

– Retournez patrouiller, tous les deux. Soyez vigilants. Ces loups se sont peut-être scindés en plusieurs groupes.

Les deux loups hochent également la tête et partent sans dire un mot. Je me tourne alors vers Henael, légèrement inquiet. Peut-être est-elle plus épuisée qu’elle ne le laisse paraître.

Henael est fatiguée. Peut-être même trop. Elle est douée pour cacher ses émotions et ses douleurs mais détecter les signaux, c’est mon travail. Entendre, sentir, voir, écouter. Même si j’ai l’habitude de le faire sur mon environnement pour détecter d’éventuelles anomalies, voire d’éventuels intrus, je suis également capable de le faire sur mes compagnons. Notamment ceux que je connais depuis longtemps, ce qui est le cas d’Henael.

Elle me demande si nous continuons. Avec ces quelques mots, elle me redonne le pouvoir, en tant que chef de patrouille. Pendant le combat, elle est redevenue l’alpha, mais, à présent, elle veut continuer ce que nous avons commencé. Mais il n’y a rien à continuer.

– Non, nous rentrons.

Mon ton est un peu sec, c’est vrai, mais j’ai du mal à donner des ordres plus, gentiment je dirai. Une habitude, rien de plus.

Alors que je fais demi-tour, vers la tanière, je reprends la parole, expliquant ma décision. Ce n’est pas une chose que je fais en temps normal, mais je n’oublie pas qu’aujourd’hui, c’est avec l’alpha que je suis en patrouille.

– Tu es terriblement douée pour cacher tes faiblesses mais, je ne peux pas prendre le risque de continuer cette patrouille. Dans l’éventualité où nous retombions sur des intrus, tu risques de te blesser gravement en les repoussant.

Ou même pire, en fonction du nombre d’intrus et de leur force.

– Je préfère que nous arrêtions là pour aujourd’hui et que tu ailles voir Impera, au cas où. Ne t’en fais pas, si une sentinelle me rapporte quoi que ce soit, je te le ferai savoir sur le champ.

J’espère de tout cœur, qu’il ne va rien arriver à Alavis. En fonction des évènements, je vais peut-être devoir augmenter le nombre de loups dans une patrouille.