Récapitulatif des chasses

22.12 : Aucune proie.
23.12 : 1 proie.
24.12 : 1 proie.
27.12 : 1 proie.
28.12 : 1 proie.
29.12 : Aucune proie.
30.12 : 1 proie.
31.12 : 1 proie.

- Allez, mes amours. On se bouge les fesses !

Comme pour illustrer ses propos, Céphée mordilla la nuque de Shaïl. La femelle poussa un jappement désœuvré dans son sommeil. Shaïn releva une paupière, Shaula remua contre son flanc. Finalement, les trois mômes se décidèrent à sortir du sommeil. Ils s'accordèrent le même rituel que les jours précédents : chacun se chargeant de laver l'autre. Quand la famille sembla prête à voir le monde réel, Céphée guida le groupe hors de leur petite tanière. Ils avaient refusé de dormir dans l'autre — celle où les loups Akatsuki se rassemblaient normalement — parce qu'ils avaient la vilaine habitude de faire beaucoup de bruit. Spécialement le soir, quand ils jouaient.

Ils se séparèrent pour accomplir leurs tâches quotidiennes personnelles mais se retrouvèrent pour déjeuner, pour passer un moment ensemble, puis y retournèrent jusqu'au soir pour leurs heures privilégiées.

- J'en ai marre de ces idiots !

Cepheid pouffa en levant les yeux au ciel. Shaïl lui adressa, en retour, une œillade boudeuse. Elle était susceptible, la môme. Sa mère lui accorda une petite bourrade de l'épaule en la précédant sur les chemins qui menaient à leurs coins de chasse préférés. Elles allaient, le plus souvent, à la rivière.

- Tu ne devrais pas parler comme ça, Sha. C'est mal.

Shaïl mima une nausée devant la douceur de son jumeau. La mère des enfants soupira, puis leur demanda le silence d'un seul regard. Ils arrivaient. Pas question de faire fuir les proies en parlant trop fort. Ils se séparèrent spontanément pour former un cercle autour d'une biche. Ils avaient l'habitude de fonctionner à quatre. Shaula demeurait la plus proche de Céphée, étant trop jeune pour abattre les gros animaux seule. Les deux sœurs conjuguèrent donc leurs forces pour rabattre le cervidé sur les jumeaux qui sautèrent comme un seul loup sur la gorge de la bête. Elle s'écroula mollement sur le sol, les yeux hagards, puis expira son dernier souffle.

- Bien joué, mes chéris. Je suis fière de vous.

- Maman ?
- Mmhh ?

Céphée leva les yeux de son bout de cœur entamé. Elle se lécha les babines pour retirer un peu du sang qui recouvrait son visage. La vision arracha, semble-t-il, un rire doux à la petite Shaula gênée. Elle remua doucement la queue dans la neige, observant son aînée en cherchant ses mots. Cepheid savait de quoi il était question ; Shaula avait toujours les mêmes expressions, les mêmes lueurs dans les billes.

- Il va bientôt rentrer, mon bébé. Ne t'inquiète pas. Papa n'en a sûrement plus pour longtemps. D'accord ?

Shaula hocha la tête avant de se remettre à savourer les chairs délicieuses du sanglier fou qu'elles avaient abattu quelques minutes plus tôt. Celui-ci avait décidé de foncer sur elles alors que les femelles faisaient leur ronde habituelle, ce qui l'avait évidemment précipité vers la mort.

Céphée poussa un soupir de bien-être. Elle n'avait pas souvent l'occasion de se retrouver seule depuis la naissance de ses enfants. Ces heures-là avaient une saveur spéciale à ses yeux ; encore plus lorsque les bonnes nouvelles lui arrivaient au cours d'une ronde : son compagnon venait de rentrer. La sentinelle se pressait donc vers son salut après avoir achevé son devoir.

Ses prunelles se posèrent sur son corps familier. Elle avait exploré sa fourrure pendant des heures au cours de leurs vies, savourant son odeur si spéciale, ses courbes si apaisantes. Trop heureuse de le revoir après une absence de plusieurs mois, Cepheid lui sauta littéralement dessus. Son cœur battait la chamade. Elle poussait des petits jappements de joie. Il faisait écho à son plaisir en riant. Ils échangèrent de longues embrassades chaleureuses auxquelles les mômes s'ajoutèrent.

- On va se promener ?

La proposition du mâle la combla. Elle avança à ses côtés pendant que les jeunes jouaient au camp. Après avoir folâtré un moment, ils se lancèrent à corps perdus dans une chasse en amoureux. Un vrai conte de fée. Ils ramenèrent un héron avant de rentrer, trempés, pour dormir en famille.

Céphée venait de finir sa ronde. Elle rentrait doucement, observant les environs avec sérénité. Le vagabond qui avait dépassé leurs frontières n'était plus qu'un mauvais souvenir ; Mahina s'en était, vraisemblablement, assurée. La sentinelle était fière d'avoir des camarades aussi courageux. Elle s'étira en bâillant. Ses cils chargés de givre papillonnaient alors que ses pas la rapprochaient inexorablement du camp. Une fois dedans, Cepheid salua ses congénères en souriant, puis se glissa dans le garde-manger. Elle commençait à avoir faim. Elle chercha une petite proie mais ses crocs se refermèrent sur un corps ondulant. Elle écarquilla les yeux, réprimant un mouvement de recul.

Un serpent.

Il y en avait peu à une saison pareille mais ceux qui survivaient venaient se réfugier dans les zones les plus chaudes ; à savoir, leurs tanières ou le garde-manger. Il y régnait généralement une chaleur suffisante pour eux. Elle le chassa prudemment pour ne pas se faire mordre mais dû se résoudre à l'évidence : impossible de ne pas le tuer. Il refusait de sortir. Elle l'acheva donc pour protéger les louveteaux imprudents.

Céphée soupira bruyamment. Shaula leva deux yeux immenses, troublés. Elle savait évidemment ce qui gênait la plus âgée ; Shaïn n'était pas encore remis sur pieds. Il souffrait moins grâce aux soins dispensés par Tomoe mais les effets curatifs ne se feraient pas sentir avant plusieurs jours. Aussi, l'ambiance demeurait sombre. Cepheid était une mère abusive. Elle ne retrouverait le souffle qu'après la pleine guérison de son fils. Shaïl lui donna un petit coup de museau sur la joue pour la réconforter.

- Je vous aime mes chéries. Même si vous vous débrouillez comme des manches dès que Shaïn n'est pas là pour vous aider à la chasse.

Elle laissa échapper un rire doux en montrant leur butin : rien. Les jeunes filles n'avaient pas réussi à contrôler la biche, provoquant une crise de fou rire générale. Elles profitèrent encore un moment d'être ensemble avant de retourner à leurs tâches respectives.

Céphée caressait la fourrure épaisse de son fils lové contre son épaule. Il dormait paisiblement, le souffle régulier. Ses paupières closes bougeaient régulièrement, à cause des rêves. Il avait au moins arrêté de faire des cauchemars. Elle le câlinait depuis l'aube. Elle n'avait cessé que brièvement pour faire une ronde, puis était rentrée au pas de course.

- Maman ? Je t'ai amené un truc à manger.

Cepheid lança une œillade vers l'entrée de la tanière. Shaïl était là, une musaraigne au pied des pattes. Elle avait un sourire fier sur les lèvres, apparemment contente d'avoir attrapé le rongeur. La mère de famille lui réserva la même joie que normalement, se glissant vers la jeune femelle pour embrasser ses petites joues. Elle savoura le présent offert par sa fille, puis se recoucha pour profiter de leurs minutes ensemble.

- Vous êtes prêts ?
- Oui !

Petite épreuve de chasse pour la famille, ce jour-là. Céphée étant de repos — comme Shaïl —, la jeune mère avait décidé de chasser le plus possible pour remplir la réserve. Ils avaient des chasseurs, bien sûr, mais de l'aide était souvent bienvenue à la mauvaise saison. Ses enfants, sitôt mis au courant, avaient insisté pour se joindre à elle. Même Shaïn qui allait enfin mieux. Malheureusement, eux devaient encore assurer leurs responsabilités ; ils s'absentaient à tour de rôle pendant que les autres continuaient à ramener des proies de toutes les tailles.

Ils se chargèrent d'un chevreuil handicapé après avoir ramené quelques animaux de la rivière, jugeant important de diversifier leurs cibles pour ne pas épuiser les ressources du milieu.