Aujourd'hui était une des rares journées où elle avait décidé de confier la garde des louveteaux aux autres nourrices pour prendre une pause. Elle était épuisée et ses yeux reflétaient sa fatigue comme deux miroirs. Elle traînait ses pattes lorsqu'elle marchait, la tête basse tout comme sa queue. Tout le monde expérimente des journées où on a envie de rien faire.

Elle se sentait coupable de laisser toute cette charge de travail aux autres mais elle se disait que ça n'allait pas les déranger si c'était seulement pour aujourd'hui et qu'elle leur devait une faveur. Elle décida éventuellement de s'éloigner de la tanière, des cris des jeunes, des plaintes des vieux et des vantardises des autres. Quelque chose lui donnait une envie folle de s'éloigner le plus possible de ses congénères. Elle ne pouvait pas se contrôler et elle courut, encore et encore, sa respiration était sifflante, ses muscles lui faisaient mal mais elle continuait tout de même de courir. C'était comme si ses pattes ne voulaient plus s'arrêter, malgré la douleur, malgré les nombreuses chutes.

Lorsqu'elle arrêta finalement de courir, elle prit un moment pour observer où elle se trouvait. Un ruisseau traversa une clairière, tout semblait si doux, si beau et si calme qu'elle s'avança tranquillement vers ce dernier. La paix. Des souvenirs surgissent tandis qu'une odeur attire son attention. Une odeur familière, réconfortante qui semble évoquer à la fois des souvenirs douloureux. Elle tourne sa tête lentement pour découvrir une louve au pelage bicolore. Ce qui était le plus frappant, c'était ses yeux d'un rouge sang, d'un rouge dont elle n'oublierait jamais la porteuse. Celle dont elle avait donné son amour comme si elle était sa propre mère seulement pour découvrir qu'elle était partie le lendemain. Héléna.

Elle s’avançait vers la Blanche en affichant un sourire timide, si innocent. Elle revit la jeune louve dont elle s'était occupée, ses éclats de rire, ses maladresses. Elle ne la détestait pas pour avoir fuit sans rien dire. Il était impossible de détester quelqu'un à qui on apporte une si grande importance dans son cœur parce que oui, elle était toujours là, comme la petite qu'elle avait élevée et vue grandir. Elle serait toujours son petit rayon de soleil. Elle affichait désormais un sourire, elle était soulagée de voir qu'elle allait toujours bien, qu'elle était en vie et en parfaite santé. Qu'elle était heureuse ? Elle voulait lui demander ce qu'elle faisait maintenant, ce qu'y lui était arrivé.

- Héléna.. fut les seuls mots qui sortirent de sa bouche malgré tout. Elle s'efforça d'ajouter quelques paroles. Regarde comme tu as grandi. Elle affichait une expression calme et douce, elle retrouvait la douceur qu'elle avait avec les louveteaux, la haine n'avait pas sa place dans cette rencontre.
 

Elle attendait après avoir prononcé quelques paroles. La Blanche attendait n'importe quoi, une réaction, un sourire ou bien encore mieux, des paroles en retour. Des excuses peut-être ? Elle secoua discrètement la tête et laissa reposer son regard sur la femelle qui lui faisait face. Elle réalisa qu'elle n'avait plus besoin d'elle à ce moment, qu'elle était complètement indépendante. Elle réalisa aussi que cette rencontre allait faire revenir la douleur puisqu'elle ne pourrait sûrement pas la voir régulièrement. Ce serait mal vu. Enfin, les paroles rejoignirent ses oreilles.

- Oui, cela fait sept mois que je suis partie de la meute, je suis maintenant apprentie guérisseuse et quelqu'un m'a adopté aussi, une louve qui a connu ma vraie mère.

Les pensées se bousculèrent dans la tête de la louve blanche, elle ne savait plus à quoi penser. Apprentie guérisseuse ? Adoptée par quelqu'un d'autre ? Voilà ce qu'elle était donc devenue. Par dessous tout, elle mentionnait sa vraie mère. Kamira se doutait qu'elle était sûrement partie à sa recherche, elle était toujours curieuse de savoir ce qu'elle était, qui elle était, mais elle n'avait jamais pu alimenter sa curiosité puisqu'elle ne la connaissait aucunement. Évidemment, le sentiment de s'être faite remplacer est un sentiment horrible, mais elle se disait que c'était peut-être bien pour le mieux.

- Je... je suis désolée, d'être partie.

La Blanche l'observait simplement, sans savoir trop quoi ajouter. La louve qui lui faisait face avait tellement changée, la petite boule de vie avec qui elle avait entretenu de si beaux moments semblait désormais, comment dire cela. Si... morte ? Les émotions étaient là, mais elles étaient discrètes et semblaient s'effacer, comme si elle la quittait peu à peu. Elle posa son regard au sol, la mine attristée. Il y avait trop de sentiments qui se mélangeaient. La honte, la peur, la tristesse, le doute... Tout cela formait un cocktail qui était beaucoup trop dur à avaler.

- Ça va, Héléna. Sa voix était douce et mélodieuse, comme une caresse, elle en était réconfortante. Je ne t'en veux pas, tes excuses me sont suffisantes.

Après les quelques paroles, elle se dirigea vers sa cadette pour lui donner une accolade affectueuse. Malgré tout ce qui avait pu arriver, elle était toujours la petite qu'elle avait chéri durant ses plus jeunes années, et elle le resterait toujours, évidemment.

- Tu ne m'as jamais réellement quittée, affirma-t-elle. Tu étais toujours là, juste ici, dans mon cœur.
 

- Tout comme toi.

Les mots sont dépourvus d'émotion. C'était comme si elle avait vomi la première chose à laquelle elle avait bien pu penser qui ferait une réponse potable. Cependant, elle s'efforce d'afficher un sourire, peut-être croyait-elle que cela donnerait plus d'effet à ses paroles, procurerait une meilleure sensation chez la Blanche. Au contraire, elle pouvait la lire comme si son corps était transparent et ses émotions écrites noir sur blanc. C'était évident. Elle voyait tout dans son petit acte mais étonnamment elle ne lui en voulait aucunement. Oui, elle ne pouvait forcer personne à l'aimer et, hors de tout doute, l'importance qu'elle avait dans la vie d'Héléna avait vachement diminué, ce qui pouvait expliquer cette réaction dépourvue d'émotions. C'était décevant, mais elle devait se contenter de ce qu'elle avait.

- Tout se passe bien à la meute ? avait-elle demandé.

Si tout allait bien, pourquoi demander une telle chose après l'avoir quittée ? Elle prétendait probablement d'avoir un intérêt envers comment la meute se portait pour être gentille, faire bonne impression même. C'était étrange, l'atmosphère était étrange et par-dessus tout, l'attitude d'Héléna était étrange. Rien ne semblait normal, naturel. Les paroles étaient mises là seulement pour combler un vide qui rendrait cette rencontre encore plus étrange qu'elle ne l'était déjà. C'était une coïncidence, évidemment, les deux louves ne s'attendaient pas à se rencontrer aujourd'hui, et elles en étaient encore moins préparées. Fais mine de rien.

- Oh tu sais... ça n'a pas vraiment changé, affirma-t-elle. En réalité, parler de sa meute était actuellement la dernière chose qu'elle voulait faire. Peu importe, je m'intéresse plutôt à comment tu te portes, toi, est-ce que tu es heureuse ?

Les mots étaient sortis tous seuls. Le bonheur. Était-elle heureuse elle-même ? Comment pouvait-elle poser une question auquel elle-même ne pouvait même pas répondre ? De plus, quelle pouvait bien être l'utilité de poser une telle question, ce n'était pas comme si elle allait décider de retourner avec elle sur un coup de tête, même si c'est peut-être ce que Kamira aurait souhaité entendre à ce moment précis. Peut-être qu'elle se sentirait moins coupable. Coupable de son départ, oui. La culpabilité de ne pas avoir rempli son rôle de mère substitue. Même après toutes les belles paroles qu'elle avait bien pu recevoir, la culpabilité restait accrochée à elle. Et elle, elle n'était pas prête de partir bientôt.
 

Boum. Ça frappe comme si on venait de la percuter au niveau du thorax, ça coupe le souffle. Comment est-ce que c’est possible ? Kamira comprenait désormais pourquoi les émotions n’étaient plus la et, si elles y étaient, elles se faisaient très discrètes. C’était un choc, en premier lieu, elle ne savait pas vraiment comme réagir. En effet, c’était une chose de le ressentir mais de l’entendre de la bouche d’Héléna elle-même. Ça doit être dur d’annoncer cela à ses proches et pis encore, de continuer son chemin quand même, de continuer à utiliser son pouvoir malgré les conséquences néfastes de ce dernier.

Kamira éprouvait un grand sentiment d’empathie pour la femelle, elle l’avait sutrefois vue pleine de vie et de bonheur et maintenant, et bien, tout semblait différent. Avec raison. A cause de son pouvoir, elle l’avait dit. Si ça lui arrivait à elle, elle ne croit pas qu’elle utilisersit son pouvoir aussi régulièrement qu’elle le fait normalement. Effectivement, elle craignerait les repecurssions qu’il aurait sur elle. Heureusement, ce n’est pas le cas. C’est peut-être légèrement égoïste de dire cela, mais elle était soulagée que ce ne soit pas le cas pour elle. Cependant, cela lui permettait de ressentir sa douleur encore mieux. Si elle ressentait de la douleur ? Elle ne savait plus, elle était déboussolée, choquée.

- Oh Héléna..., dit-elle. Elle n’avait rien trouvé d’autre à dire pour le moment, le choc l’avait comme sonnée. Elle reprit ses esprits après un moment. Écoute-moi, tout va bien aller. Je connais la vraie Héléna, celle pleine de joie, pleine de tristesse parfois. Je te connais, je connais ton courage, ta force. Tu es plus forte que cela, ce ne sera pas le premier obstacle que tu auras surmonté, fit-elle d’une voix douce, rassurante. Peu importe ce qui arrive, je serai là pour te soutenir. Elle finit ses paroles avec une petite étreinte, elle se demandait s’il valait mieux qu’elle la laisse maintenant. C’était à peine si Kamira refoulait ses larmes, elle était particulièrement émotive.
 

L'atmosphère fut soudainement lourde. Elle semblait un peu plus suffoquer à chaque inspiration. Sa gorge était nouée et ses yeux, malgré des clignements frénétiques, peinaient à contrôler ses larmes. Elle qui croyait simplement faire un tour, une bonne course pour se défouler, ne s'attendait pas à être servie un bon cocktail d'émotions comme celui qu'elle était en train de vivre ! Ce serait mentir de dire qu'elle n'aurait pas voulu que la louve qu'elle avait prit sous son aile comme sa propre fille ne vienne pas se blottir contre elle, chercher la chaleur dans la saison des neiges comme elle le faisait autrefois, faute de son pelage de jeune louve moins épais. Kamira se souvenait des bons moments, intimes, comme si elles étaient réellement liées par le sang.

- Je te remercie Kamira. Une réponse bien courte, mais quelque peu rassurante. Elle allait devoir se contenter de ce que Héléna lui offrait, l'amour du monde entier ne pourrait égaler l'amour d'un être cher, même en petits doses. Le simple petit geste lui réchauffait le cœur, elle n'allait pas lui en demander plus.

Le silence qui s'en suivit semblait interminable. Les deux louves s'observaient et quiconque aurait regardé à ce moment aurait pu croire qu'elles étaient de parfaites inconnues. Certes, l'amour était réel entre les deux canidés, mais les efforts pour le démontrer manquaient. Dans un élan de bonté, elle vit Héléna s'approcher doucement pour venir se coller contre son pelage neige. Elle fut d'abord perturbée par sa douceur, mais les muscles de son corps finirent éventuellement par se relâcher, puis par se détendre. Un larme fit son chemin le long de sa joue, se dissipant éventuellement parmi sa fourrure ni vu ni connu. Elle esquissa un sourire chagriné, on pouvait y deviner la nostalgie. Les deux louves restèrent ainsi un moment pour récupérer ne serait-ce qu'une petite partie du temps pendant lequel elles avaient été séparées.

Leur chemin se séparait à nouveau, et Kamira espérait fortement recroiser la route de sa petite protégée, peut-être pourraient-elles alors rattraper le temps de perdu, en prenant un peu plus leur temps cette fois ? Cette brève rencontre avait certainement rappelé de bons souvenirs à la mère nourricière mais elle n'avait pas encore tout appris à son sujet, elle aurait certainement voulu discuter plus longtemps avec elle mais le temps ne fut pas de leur partie, elle devait retourner désormais retourner parmi les siens.