Récapitulatif des chasses

01.01 : 1 proie.
02.01 : 1 proie.
03.01 : 1 proie.
04.01 : 2 proies.
05.01 : 2 proies.
07.01 : 3 proies.
08.01 : 2 proies.
09.01 : 3 proies.
10.01 : 3 proies.
11.01 : 3 proies.
12.01 : 4 proies.
13.01 : 3 proies.

Le vent mordait sa peau. Durement. Méchamment. Le vent du Nord. Sa maison. Elle adorait son petit monde, avec sa poudreuse, sa glace, ses journées qui se résumaient à une ou deux heures de lumière. Elle l’aimait mais, paradoxalement, le haïssait aussi. Elle ne supportait pas de voir la souffrance s’inscrire sur les visages de ses proches, de lire l’épuisement des chasses interminables dans les yeux des chasseurs — spécialement dans les prunelles de sa mère. Astrée commençait à fatiguer. Elle pouvait comprendre, Lunaire. Ils avaient un rythme insupportable.

La Veilleuse avait déjà beaucoup chassé durant Décembre pour soulager ses congénères mais l’impression de ne pas faire assez lui serrait le bide. Elle se levait donc aux aurores — aujourd’hui comme d’habitude — pour rejoindre Avem. Sa mère dormait. Lunaire avait insisté pour qu’elle se repose un peu. Elles se lancèrent vivement sur les voies pour ne pas prendre froid, décidées à chasser sur la glace. La banquise était devenue une source fiable de nourriture pour sa meute. Elles rentrèrent avec un éléphant de mer.

Lunaire observait ses sentinelles, soucieuse. Elles murmuraient à propos d'un ours polaire qui venait au plus près des frontières depuis quelques jours. Il cherchait des ressources. Il avait besoin de se nourrir, ce que la Veilleuse pouvait comprendre ; mais il menaçait ses proches, chose qu'il lui était impossible de supporter. Elle laissa les sœurs dans son sillage pour se rendre sur les lieux présumés. Elle marchait doucement. Elle se préparait surtout, psychologiquement, à combattre un ours. Elle l'avait déjà fait mais cela était dangereux. À chaque fois.

Heureusement, Lunaire avait une bonne étoile.

« Maman »
Il faut me laisser, maintenant.

Ouais. Elle avait besoin de renouer avec son indépendance, avec ses certitudes. Elle ne pouvait plus se permettre de douter, de se souvenir de son enfance ; ces événements devaient être enterrés. Définitivement. Elle était Bêta, désormais. Elle devait oublier ce qui l'avait animé par le passé — à savoir, la colère, le dégoût, la peur. Elle ne s'appartenait plus. Elle n'était plus qu'une arme entre les pattes de ses proches. Elle devait les défendre, coûte que coûte.

Après s'être assurée du bon fonctionnement des différents groupes constituant la meute, donné ses ordres aux loups les plus importants, s'être assuré que les Anciens n'avaient pas besoin de son aide, Lunaire décida de partir en chasse. Elle rejoindrait Henael un peu plus tard. Elle s'avança vers la Cascade. Elle ne voulait pas trop s'éloigner du camp, pour l'heure. Elle avait encore beaucoup de choses à faire.

Elle se concentra sur une oie sauvage. Ils en avaient des groupes entiers qui venaient se reposer et pêcher avant de reprendre leur voyage. Elle n'eut donc pas beaucoup de mal à obtenir la précieuse viande.

Lunaire leva les yeux vers le ciel. Des rideaux de couleur dansaient nonchalamment sous ses billes écarquillées. Ils avaient rarement le bonheur de voir des aurores boréales, même si haut dans le Nord. Bien souvent, il fallait s'aventurer sur la glace de la Mer Gelée, s'enfoncer loin dans les zones qui ne prenaient vie qu'à l'arrivée de la mauvaise saison. Certaines personnes disaient même que des loups, choisis par Rakuen, finissaient par y aller sans jamais revenir. Pour faire quoi ? Aucune idée. Personne ne le savait. On arguait néanmoins qu'ils y avaient le droit à une nouvelle vie.

Astrée avait arrêté de respirer, à ses côtés. Elles observèrent la valse des lumières en silence, émues par ce soudain moment d'intimité. Lunaire, au fond de son cœur, espérait qu'Apollo était réveillé pour assister à ça aussi. Malheureusement, toutes les bonnes choses avaient une fin. Le rouge se laissa avaler par le vert, puis le vert par le noir. Ne demeurèrent qu'une poignée d'étoiles claires, abandonnées par la lune.

- Allons chasser, Maman.

Astrée sembla sortir de sa transe, les yeux mouillés. Lunaire esquissa un sourire doux. Elles recommencèrent à se mouvoir pour fuir la morsure du vent. Il était gelé en ce mois de Janvier particulièrement rude. Elles eurent du mal, d'ailleurs, à mettre la patte sur des proies. Leurs mets préférés se cachaient, se réfugiaient au loin pour ne pas mourir de froid. Elle soupira en rentrant. Ses muscles lui faisaient mal. Le pire ? Elle avait encore ses responsabilités de Bêta à assumer. Elle laissa à sa mère le soin de ramener la fouine et le lièvre sur lesquels les deux femelles s'étaient jetées, en désespoir de cause.

Lunaire commençait à prendre ses aises dans son nouveau rôle. Elle s'était penchée sur les nombreuses questions laissées en suspens depuis que les précédents Alphas les avaient quitté. Elle avait commencé, donc, à observer les entraînements des différentes factions constituant Yuubae. Ils manquaient de guerriers expérimentés, ce qui lui laissait croire qu'il devenait nécessaire de nouer des liens avec des mercenaires. Pourquoi ? Pour les défendre, en cas de mouvement du côté Akatsuki. Elle avait aussi mûri la drôle d'énigme lâchée par le mâle largué de chez leurs ennemis. Habis.

Vers midi, la Bêta s'accorda une petite pause. Elle se rendit vers le Lac de Cendres d'un bon pas, avec l'idée de pêcher. Elle avait pensé à le faire au niveau de la Cascade mais le camp était particulièrement animé aujourd'hui. Elle n'avait pas envie d'être dérangée dans l'exercice par des petits trop curieux. Elle préférait, de loin, être au calme. Pour profiter un peu. Elle récupéra deux gros spécimens qui allumèrent des soleils dans les prunelles des mômes quand elle les ramena.

- Il fait si froid, aujourd'hui...

Lunaire poussa un râle rauque alors que le blizzard mordait sa peau. Un frisson griffa son échine, glissant le long de sa colonne. À ses côtés, son père marqua une pause pour la regarder. Il avait un sourire en coin.

- Alors, ma petite Bêta. On renonce à cause d'un peu de vent ?
- Ahah, trop drôle.

La gradée bouda d'une moue cocasse, rapidement chassée par l'air glacé. Il n'y avait pas à dire, la mauvaise saison était bien installée. Elle commençait à croire que le printemps n'arriverait pas à reprendre le dessus dans quelques mois. Ils avancèrent prudemment, sans se dépêcher. Il n'y avait pas pire idée que se presser au réveil, alors que les muscles se réchauffaient à peine. Les siens, endoloris, avaient du mal à enchaîner les mouvements de façon fluide.

Elle salua son père qui devait patrouiller, puis enchaîna les rencontres avec ses congénères. Certains Anciens cherchaient des réponses, d'autres seulement une oreille attentive. Elle accorda quelques entrevues aux petits, aussi. Les bébés venaient surtout pour l'embêter, lui ronger la queue, lui mordiller le cou. Après une brève réunion avec Henael, Lunaire décida de rejoindre un groupe de sentinelles ayant évoqué des ennuis avec un sanglier. Elle préférait s'occuper de cela elle-même ; les sentinelles avaient d'ailleurs eu raison de la prévenir : un spécimen rôdait. Elle le chassa avec de l'aide, avant de chercher Apollo. Elle voulait son rapport.

Ou, du moins, Lunaire voulait croire que son cœur ne battait qu'à l'idée qu'il ait des nouvelles à lui donner. Rien à voir avec de pseudo-sentiments à son égard. Elle ne passa qu'une minute à ses côtés, de quoi se rencarder sans se trahir. Elle déambula sur la banquise pendant un moment, récupéra un phoque sur le chemin.

Enfin, après une énième journée harassante, la Bêta se retrouva en tête-à-tête avec Opale qui grandissait. La petite demanda une nouvelle leçon de chasse, qui se solda par la traque d'un oiseau marin. Heureusement, les deux femelles étaient douées pour les sauts.

- Hé, madame. On n'a plus de temps pour ses amis maintenant qu'on est passée Bêta ?

Lunaire adressa une œillade à Leif. Elle haussa les épaules avec un sourire moqueur.

- Quoi, je vous manque ?
- Non, bien sûr ! Je ne suis qu'indépendance, froideur... Ouais. T'as capté, quoi.
- Tu veux venir chasser avec moi ? J'ai terminé ma journée.
- Mouais... D'accord. Uniquement parce que tu as besoin d'un mâle fort pour t'aider, hein.

Il bâilla, armé de sa fausse condescendance. Elle pouffa, un sourcil arqué d'un air impérieux. Elle devait reconnaître que les derniers jours avaient été intenses. Elle n'avait pas eu beaucoup de temps à accorder à son entourage ; sauf aux personnes qui l'avaient accompagnées dans ses pérégrinations de la journée, évidemment. Elle voyait surtout Henael et les autres gradés. Elle se rattrapa en consacrant un moment à chacun d'eux, spécialement à Leif. Ils chassèrent un oiseau de proie — un aigle — puis récupérèrent un jeune faon abandonné par sa mère. Probablement à cause de sa faiblesse. Il n'était pas né à la bonne période, le pauvre.

Lunaire avait envie de revoir les aurores boréales. Les couleurs vives parsemant le ciel lui manquaient beaucoup ; mais les jours passaient sans que les ombres soient anéanties par les lueurs. Elle soupira en observant l'éther. Pas une once de nuances verdâtres. Pas de rouge, non plus.

Dépitée, l'ancienne Veilleuse se força à bosser sans se soucier des caprices célestes. Au moins, il ne pleuvait pas. La poudreuse s'était solidifiée sous ses coussinets, provoquant quelques engelures. Impera avait sûrement de nombreuses visites à cause de cela. Lunaire rencontra une poignée de loups durant la matinée. Ils venaient essentiellement râler de certaines bricoles ; manque d'une proie spéciale, camp trop bruyant, sommeil trop peu qualitatif à cause des températures glacées... Des problèmes liés à la saison, en somme. Autant de choses contre lesquelles la jeune femelle n'avait aucune arme. Ils devraient simplement s'armer de patience. Le pire, c'était que Lunaire savait qu'en été, les mêmes problèmes resurgiraient.

La Bêta laissa ensuite l'effervescence du camp dans son sillage pour rejoindre son coin préféré : les rivages de la mer gelée. Elle se promena longuement sur la glace, prenant garde à ne pas retomber bêtement. Chose surprenante ? Lunaire remarqua qu'un morse s'était échoué. Elle avait décidé de pêcher dans un trou qui menait à l'eau en-dessous mais l'énorme animal s'était invité. Il était remonté à la surface dans une mare de sang carminé pour mieux rendre l'âme sur la banquise. Elle mena cependant son entreprise à terme, récupérant deux énormes poissons habitués à la fraîcheur des eaux du Nord. Après quoi, heureusement, son père passa dans le coin pour l'aider à ramener les proies au garde-manger.

Son souffle formait de la poussière. De la poussière de fée. Des particules qui s’élevaient en espérant rejoindre l’éther, suspendu hors de sa portée à elle. Lunaire aussi, souvent, rêvait du ciel. Elle se demandait ce que cela faisait d’être un oiseau. D’être légère. D’être libre.

Néanmoins rappelée à chaque fois à l’ordre par ses responsabilités, ses songes ne partaient jamais très loin. Elle ne voulait pas rêver d’une autre vie ; la sienne lui convenait. Elle devait lui convenir. Pour toujours. Elle n’en aurait pas d’autre. Le regard fuyant les étoiles, la Bêta se reconcentra. Elle n’avait plus le droit à l’erreur, désormais.

Elle ne l’avait jamais eu, en réalité. Sa proximité avec la louve Alpha lui interdisait la faiblesse. Contrairement à leurs congénères, les deux femelles ne pouvaient pas s’autoriser à se pâmer face à des illusions. Tout n’était que chimère dans le monde de la nuit.

Elle se pencha pour recueillir les deux poissons pêchés. Les anciens semblaient apprécier le saumon ramené par ses soins ces derniers jours. Aussi, Lunaire en faisait une mission. Elle s’obligeait à en récupérer quelques-uns pour ceux qui avaient des goûts sûrs.

Plus tard dans la nuit, ne parvenant pas à trouver le sommeil, la jeune femelle se promena longuement. Elle trouva un lapin partiellement recouvert de poudreuse fraîche. Il était mort. Et congelé, accessoirement. Probablement tué par les températures extrêmement froides du Nord. Elle le récupéra pour ne pas gâcher la viande si nécessaire en ces périodes.

Donnez-moi une aurore boréale.
S’il vous plaît.

Elle gardait les yeux levés vers l’éther. Le velours noir du ciel était recouvert de petites pierres précieuses. De jolis diamants qui faisaient battre son cœur plus fort. Elle se sentait liée à la reine lune. Ses paupières tombèrent alors que les flocons glissaient sur son visage. Ils caressaient ses cils, s’accrochaient dessus avec une délicatesse sans nom.

Elle laissa échapper un soupir de bien-être, se lovant dans un apaisement confortable. Elle aimait la sensation de douceur qui se dégageait des interminables nuits d’hiver. Lunaire déambula, déambula, déambula. Son cœur était en paix. Elle avait accompli son devoir avec application durant la journée précédemment écoulée, chassant deux oies venues se nourrir dans leurs eaux poissonneuses. Elle avait également rejoint sa mère et Avem pour traquer un bouquetin.

Une perle d’eau salée roula sur sa joue. À ses côtés, sa mère semblait émue de la même manière. Elles versèrent quelques larmes silencieuses sans échanger un mot, animées par une espèce de connivence. Elles n’avaient pas le même sang mais leurs cœurs étaient connectés.

Lunaire renifla doucement dans la nuit. Elles avaient décidé de passer un moment ensemble, entre mère et fille, pour évoquer les événements récents. Tout se produisait si rapidement, ces dernières semaines, que la Bêta ne savait plus où donner la tête. Elle voyait ses proches en coups de vent, n’arrivait pas à leur raconter tant il y avait à dire… Bref. Une calamité. Elle espérait que les habitudes s’installeraient bientôt.

Astrée caressa son cou avec amour. Lunaire ne se gêna pas pour rendre au centuple. Les rideaux de lumière dansaient au-dessus de leurs crânes. Une aurore boréale. Les lueurs sublimes jouaient une musique inaudible pour elles mais la danse, elle, était bien visible. Elles demeurèrent un long moment à contempler la drôle de valse, puis se lancèrent à la chasse. Elles étaient là pour cela, après tout.

Bientôt rejointes par Avem, la Bêta et la chasseresse s’attaquèrent aux grosses proies : des biches. Elles en récupérèrent trois pour le garde-manger. Par la suite, un malheureux sanglier chercha à s'introduire dans le camp, les forçant à réagir au plus vite.

Les jours s'écoulaient doucement sur Yuubae. Toute offerte à ses obligations de Bêta, Lunaire ne voyait pas réellement les heures passer. Il lui semblait que les journées raccourcissaient de plus en plus. Il lui faudrait de nombreuses minutes supplémentaires pour parvenir à tout faire avant l'aube. Elle n'en était que plus pressée, plus stressée.

Elle ne savait pas s'arrêter, pas se reposer. Elle ne supportait plus l'inactivité ou l'oisiveté. Elle préférait mettre son temps libre à profit pour aider ses pairs. Ce jour-là, alors que son corps n'avait dormi qu'une poignée d'heures, Lunaire s'engagea dans une chasse. Elle avait un peu de temps devant elle avant de devoir rejoindre Henael pour les ordres. Aussi, Lunaire se consacra à la pêche d'abord, puis à la chasse aux renards qui essayaient de piller leur garde-manger.