« Maman »
Dis, Maman.

« Maman »
Oh, Maman. Je ne veux pas mourir comme ça...

L'eau remplissait ses poumons. Il y en avait plein dans sa bouche, plein dans son nez. Elle n'arrivait plus à respirer. Le sel lui brûlait les yeux, les papilles, les muqueuses. Le froid lui mordait les os, lui bouffait l'épine dorsale. Elle essayait de remuer, Lunaire. Elle essayait de remonter, de nager. Elle avait besoin de crever la surface. Elle avait déjà épuisé ses dernières réserves d'oxygène. Ses organes en manquaient, son cerveau s'engourdissait. Ses méninges, privées de carburant, ne lui permettaient plus de réfléchir. Elle ne pouvait pas élaborer un plan comme ça...

Elle allait mourir noyée. Elle, la Veilleuse. Elle ne l'aurait jamais soupçonné, en réalité ; la vie avait bien prévu son coup. Impossible de prédire une fin pareille. Ses yeux se fermèrent, les lèvres ouvertes dans l'espoir de choper la moindre parcelle d'air. Elle agonisait. Lentement. La noyade était réellement une mort épouvantable. On avait le temps de se sentir partir, de « savourer » sa détresse mais sans avoir la chance de pouvoir se défendre.

Elle était au bord de l'inconscience lorsque des mâchoires s'accrochèrent à son épaule pour la tirer hors de l'eau. La mer gelée pouvait être une ennemie redoutable aux vilaines saisons. On la hissa sur la banquise, puis secoua durement. On la réanimait. Au bout de quelques minutes, Lunaire toussa violemment. Elle dégueula des litres d'eau, le corps agité de tremblements. Elle chercha son sauveur des yeux mais ses cils étaient collés. Elle pleurait. Elle avait mal. Elle jappa à mi-voix, se recroquevilla en chancelant.

- Calmez-vous, ça va aller.
- V-vous d-devez p-partir.

Ouais. Le pouvoir arrivait. La Veilleuse le sentait au bord de son cœur. Il était tendu comme un arc, jetant des mouches noires sur son champ de vision. Elle banda ses muscles ankylosés en chouinant à cause de la douleur qui cuisait dans son dos. Ses dents claquaient, ses griffes labouraient la glace. Lunaire lança un regard qui se voulait suppliant au mâle inconnu — probablement un Vagabond. Il ne cilla pas, demeurant à ses côtés pour l'aider à se réchauffer.

- S-s'il vous plaît !

Il n'obtempéra pas. Au contraire même, il se rapprocha. Alors, Lunaire chercha. Elle creusa dans son propre cœur à la poursuite du pouvoir. Elle rampa jusqu'à lui, se surprit à le découvrir logé au creux de son âme. Il semblait l'attendre, la désirer. Elle se rapprocha, le caressa doucement. Elle essaya de le prendre entièrement contre elle, ce petit pouvoir insolent, pour le bercer. Comme avec un bébé, comme avec un nouveau-né. Elle le regarda pour la première fois, les paupières closes, lui qui semblait si loin il y a encore quelques mois. Inaccessible. Elle sentit qu'il tâtonnait vers elle, qu'il essayait de comprendre. Comme un être vivant à part entière. Elle savait que ce n'était pas possible, qu'il n'était constitué que d'énergie et de sentiments, mais il avait l'air si... réel. Cassé, aussi. Abîmé, plein de fissures. La Veilleuse réalisa, un peu troublée, que son don était un miroir de sa propre personne. Mais il commençait à se réparer, certaines de ses blessures suintaient encore alors que d'autres avaient été recouvertes d'une épaisse de boue pour colmater les brèches.

Ouais, son pouvoir grandissait. Il changeait. Comme Lunaire. Elle le rassura encore un moment, jusqu'à ce qu'il s'endorme. Il se replia à l'intérieur de son crâne, caché, puis cessa de bouger.

Lunaire avait réussi. Elle était parvenue à le contrôler. Tout allait changer, désormais.