Lunaire retient son souffle.

- Vous allez la réveiller.

Des reproches. Encore des reproches. Elles n’ont jamais que des reproches à lui adresser depuis l’arrivée de Diamantis. Son sang bouillonne mais sa gorge se serre. Elle sait, Lunaire. Elle n’est pas une bonne mère. Elle n’est jamais là, ne se soucie pas assez du sort de l’enfant. Ou, en tout cas, pas autant qu’il le faudrait. Selon les « experts », Diamantis devrait être plus importante que la meute. Elle devrait passer devant ses responsabilités de Bêta.

Mais c’est oublier un peu facilement que c’est grâce à ces foutues responsabilités que Diamantis peut faire ses premiers pas sereinement sans être menacée par des « méchants pas beaux ». C’est zapper que les jours et les nuits sacrifiés pour la raison d’État l’ont été pour assurer la survie de l’ensemble du groupe. S’ils n’ont pas souffert de la faim, ces imbéciles heureux, c’est parce qu’il y a quelqu’un qui est d’accord pour renoncer au plaisir de badiner avec son môme.

Ce quelqu’un, c’est Lunaire. Une Lunaire qui adresse une œillade venimeuse à la nourrice quand celle-ci ouvre la bouche comme pour la chasser à nouveau. Elle ne fera pas, Lunaire, envoyer sur les roses. Elle est là pour regarder son bébé dormir. Ça pourrait déranger Rakuen qu’elle n’en aurait pas moins rien à foutre de leur avis. Un grondement sec s’échappe de sa gorge. La nourrice se repent en se tapissant sur le sol glacé, les yeux fuyants.

Non, il ne faut pas chercher des poux à la Bêta. Surtout pas quand ça concerne Diamantis. Débarrassée du problème « nourrice », Lunaire se rapproche un peu du bébé couché. Elle essaie de ne pas faire de bruit mais, hantée par l’envie de caresser le poupon, se résout à passer sa langue sur le crâne minuscule. Elle la lèche tendrement pour la réchauffer, pour la rassurer.

Pourquoi faut-il que les enfants dorment la nuit ?

Lunaire, avec son cycle inversé, paraît condamnée à seulement observer Diamantis dormir. Du moins, c’est ce qu’il se serait passé si la petite avait été un bébé normal. Avec un peu de chance, la jeune mère apprendra peut-être plus tard qu’elles ont un goût pour la nuit en commun.
Il lui semble voir les paupières du bébé cligner. Ou alors Lunaire prend ses rêves pour une réalité. Néanmoins, au cas où, celle qui a été bénie par la Lune choisie de dire quelques mots.

- Chuuut, mon trésor. N’aie pas peur. Tu peux te rendormir mais, demain soir, s’il te plaît, attends-moi. D’accord ? Il y a quelque chose que je veux te montrer depuis longtemps mais ça n’arrive que la nuit.

Lunaire, penchée au-dessus du petit corps, tâche de faire barrage entre Diamantis et les cauchemars. Ou, au moins, entre elle et des souvenirs qui pourraient être pesants.

[HRP : Si Dia demande à y aller tout de suite, Lunaire pourra l'emmener à la Plage Rocheuse pour voir les aurores boréales, si tu es intéressée ! :3]

Les œillades désapprobatrices des nourrices lui piquent la peau, lui blessent le cœur. Elle a l'impression de lire « Vous êtes une mauvaise mère » dans leurs yeux un peu globuleux. Leurs lèvres pincées, leurs mines renfrognées... Elles comprennent donc si peu ? Elles sont censées connaître l'amour qui lie une louve à ses petits, non ? C'est cruel de punir une « maman » — une « presque maman », en réalité — seulement parce que son emploi du temps ne plaît pas.

Le désespoir s'envole de ses pensées lorsque le bébé ouvre les yeux. L'espace d'une seconde, la culpabilité étreint son cœur ; l'a-t-elle réveillée ? Si oui, Lunaire va passer un sale quart d'heure. Les aînées ne lui pardonneront pas son égoïsme. L'adrénaline embrase ses veines ; qu'elles viennent, ces sales guenons ! Elle est Bêta. Elle n'a de comptes à rendre à personne, sauf à Henael. Éventuellement.

- Je veux y aller tout de suite !

Lunaire ronronne au-dedans. « BAM. DTC Madame Nourrice. »
Oui, c'est puéril. C'est sûrement pour cela que la jeune femelle s'abstient de prononcer ses pensées à voix haute. Il n'est pas question de se foutre à dos les seules personnes qui ont les compétences — et le temps — de s'occuper du microbe quand ses parents adoptifs sont occupés.

Elle cède devant les caresses sans vraiment chercher à lutter. Elle a vraiment à cœur de lui montrer les aurores boréales ; en plus, la saison va rapidement s'achever. Les danses lumineuses vont se raréfier dès que le climat va se réchauffer un peu. Lunaire entraîne donc la petite sur les chemins de ronde ; ce sont les seuls qui soient réellement sécurisés. Elles ne peuvent pas rencontrer d'ennemis, ici. Il y a trop de passages des sentinelles.

Elles arrivent au bord de la mer gelée. Les roches lissées par les marées sont idéales pour se reposer. La jeune femelle s'y couche doucement, attirant Diamantis contre elle pour la garder au chaud. Les mômes peuvent souffrir du froid dans les contrées du Nord. Elle caresse sa fourrure en l'écoutant poser des questions.

- Non, même si c'est joli comme endroit. Ici, dans le Nord, il y a une chose qu'on ne peut pas voir ailleurs. Ça n'arrive qu'en hiver, quand la lune ne brille pas trop fort ou qu'elle n'est pas là. C'est ce qu'on appelle une aurore boréale.

Au moment où Lunaire achève sa phrase, les rideaux lumineux se forment au-dessus de leurs têtes. Ils sont teintés de rouge, pour une fois, plus que de vert. Elle cesse de respirer, soufflée par la jolie danse des lueurs.