Le soleil n’est pas encore levé. Il fait nuit. Les proies dorment. Il n’y a donc pas meilleur moment pour un chasseur.

Quand je sors de la tanière, même les sentinelles chargées de la patrouille matinale ne sont pas encore levées. C’est une bonne chose. Avec aucun loup aux alentours, les proies ne se douteront pas de ce qui va leur arriver.

Je m’étire avant de me diriger vers les bois. L’Akatsuki est bien placée. Le bois des Damnés regorge de nourriture. C’est normal. Nos alphas n’ont pas choisi leur lieu de vie au hasard.

Juste avant d’arriver dans les bois, je remarque la présence d’un autre membre de la meute. Une louve. Elle pourrait être difficile à reconnaître avec son pelage qui change de couleur mais je ne connais qu’une louve qui peut avoir un regard si haineux dès le matin : La princesse Xilven.

Elle est difficilement appréciable mais elle est forte. La preuve, personne ne s’amuse à lui tourner autour. Il faudrait être idiot pour penser que seul son statut de princesse lui permet de vivre sans être embêtée. Or, je considère qu’une personne forte mérite d’être saluée. D’ailleurs, je ne me suis encore jamais confronté à elle et j’en ai bien l’intention. L’Akatsuki est faîte pour regrouper les loups les plus forts qui existent mais il est bon de savoir où on se situe dans le classement.

Arrivant à sa hauteur, je hoche légèrement la tête, montrant que je reconnais son statut de princesse, avant de reprendre une stature plus neutre. Crois t’elle vraiment qu’elle m’impressionne en me grognant dessus ?

– Bonjour princesse Xilven. Je vois que vous savez choisir vos heures de chasse. Nous ferions mieux d’y aller au lieu de se toiser du regard. Les proies n’attendent pas.

Fidèle à elle même, la louve exprime clairement sa haine. Un parasite, rien que ça. Mais bon, c'est loin d'être la première fois que ce genre d'altercation m'arrive. Nous sommes tous les deux chasseurs. Nous avons donc souvent l'occasion de se croiser. Même si Xilven chasse plus souvent pour elle-même que pour la meute, transgressant la première règle des chasseurs.

Après ce n'est pas comme si cette règle m'importait. Personnellement, je chasse pour les alphas. Pour avoir un rôle dans cette meute et donc pouvoir appartenir à ce rassemblement de loups parmi les plus forts de l'espèce.

- Eh bien le parasite va chasser. Si vous voulez bien m'excuser, princesse.

Plus rien n'est poli dans mes paroles. Le terme "princesse" est, cette fois-ci totalement ironique et, si on compare Xilven avec les princesses Mahina ou Lumen, on comprend très vite pourquoi.

En même temps, je me dis qu'avec un peu de chance, la louve va répondre à ma provocation et m'attaquer. Tout le monde sait qu'elle a le sang chaud. Ça me fera une bonne excuse pour pouvoir enfin me mesurer à elle.

J’ai seulement fait quelques pas vers la forêt quand je sens la présence de Xilven derrière moi. Une présence on ne peut plus oppressante. Bien que la louve ait très souvent une présence oppressante. Va-t-elle mordre à l’hameçon ? Va-t-elle prendre le risque de m’attaquer alors que nous faisons partie de la même meute ?

La réponse est, évidemment, oui.

Bien que je m’attendais à son attaque, sa vitesse me surprend et lui permet de refermer ses crocs sur mon encolure. Ma tête a violemment cogné le sol et je sens déjà les vertiges arriver tandis que du sang tâche ma fourrure.

La surprise et la vitesse ont été avec elle et lui ont permis de me faire tomber mais, à présent, seule sa force brute me maintien au sol. Pas de chance pour elle. Au niveau force brute, je ne me débrouille pas trop mal.

D’un violent coup d’épaule je fais lâcher sa prise à Xilven. Je me relève aussitôt et d’un coup de tête, qui n’arrange pas ma migraine, je la fais s’écraser contre l’arbre juste à côté. Son dos touche l’écorce en premier avant que la louve ne retombe au sol. Cela me donne le temps de secouer la tête pour reprendre mes esprits. Droit sur mes quatre pattes, j’attends la prochaine attaque.

Il n’y a pas à dire, le combat réel est quand même beaucoup plus excitant que les entraînements.

Beaucoup trop rapidement. Elle se ressaisit beaucoup trop rapidement. Le craquement de ses os sur l'arbre retentit et, pourtant, elle se relève facilement et m'attrape la gorge.

Sa rage est décuplée. Dans ses yeux je ne vois plus qu'une chose : Une irrépressible envie de tuer. Cette louve n'est pas une chasseuse. Pas plus qu'une guerrière. C'est une machine de mort.
Seuls des grognements arrivent à sortir de ma gorge alors que Xilven tente de me déchiqueter. Et elle y arrive plutôt bien pour le moment.

La douleur devient plus forte à mesure que le sens coule et que l'adrénaline augmente. Je dois réagir immédiatement avant que toutes mes forces se soient évanouies dans la douleur.

Usant de la force de la dernière chance, je réussi à me pencher en avant et à agripper l'encolure de Xilven pour l'envoyer dans la terre à côté de moi. Je me remets, le plus vite possible, sur mes pattes et fait appelle à mon pouvoir. Je ressens de fines décharges électriques passer de mon buste jusque dans mes pattes et je sais alors que mes forces ne m'ont pas encore totalement abandonnée.

Levant ma patte avant gauche, je la frappe violemment sur le sol, entraînant l'apparition d'une onde sismique qui fait tomber Xilven au sol. Le choc continu ainsi, faisant trembler la terre et les arbres environnants dans un rayon d'un mètre autour de moi, empêchant alors quiconque de se déplacer dans cette zone. Ou même de pouvoir tenir debout.

À chaque seconde qui passe, je sens que j'ai un peu plus de chance de m'évanouir. Maintenir mon pouvoir dans ces conditions est une torture. Je choisis cependant de donner un dernier coup et me rapproche de Xilven, les ondes sismiques ne m'atteignant pas puisque j'en suis la source. Pendant qu'elle est au sol, je lui donne un vigoureux coup de griffe dans la gueule, passant sans aucun remords sur son œil gauche. Je suis en mauvais état mais je ne peux pas me permettre qu'elle ne garde aucune séquelle visible. Ça entacherait trop ma réputation. Sitôt le coup donné, je recule et mets fin à mon pouvoir. Le combat est terminé et elle a gagné. Mais je n'ai pas dit mon dernier mot. Un jour j'aurais ma revanche.

C'est sur cette pensée que je suis tombé, la douleur prenant le dessus sur la volonté.

Ma conscience s’amenuise à mesure que le sang continu de couler. Je n’arrive plus à tenir debout si bien que je me suis couché mais ce n’est pas vraiment mieux. Appuyer mon ventre sur le sol est une torture. Elle ne m’a pas loupé.

J’imagine qu’elle doit jubiler ou même avoir envie de terminer le travail, pourquoi pas. Peut-être l’aurait-elle fait si la puissante voix de notre alpha n’avait pas retenti.

Avec des forces que je ne pensais plus posséder, je réussi à m’appuyer sur mes pattes arrière pour me pencher en une humble révérence avant de me remettre debout. Le mouvement envoie une atroce douleur dans tout mon corps mais je ne peux pas rester couché devant mon alpha. Elle ne doit pas pouvoir penser, ne serait-ce qu’une seconde, que je ne suis pas assez fort pour sa meute. Je ne laisserai pas cela arriver.

Mes pattes tremblent un peu mais je réussi tout de même à rester droit, regardant Nilaya, attendant l’ordre qui ne va pas tarder à arriver.

C’est presque si Xilven se cache derrière sa mère. J’en rirai si ma gorge ne me brulait pas autant.

La voix de l’alpha est forte et autoritaire. Elle sait qu’elle a droit de vie et de mort sur nous et elle sait qu’elle n’hésitera pas une seconde à tuer l’un d’entre nous si ça peut lui être utile. Certains disent que Nilaya ne ferait jamais de mal à sa famille. Qu’elle les aime et les estimes par-dessus tout. Je pense, au contraire, que quand on estime quelqu’un et que ce loup nous déçoit, on peut avoir n’importe quelle réaction. En particulier, une réaction violente si la violence est dans notre instinct primaire comme c’est le cas de Nilaya.

Je la suis pour sa force, pas pour sa morale ou ses bons sentiments. Cette force, qu’elle démontre à chacun de ses pas. À chacun de ses mots. Peut-être n’est-elle plus très stable psychologiquement, depuis la disparition de l’alpha Kayraz et du prince Laliona, mais elle n’en reste pas moins une force de la nature. Une force qu’il faut éviter de provoquer si on espère pouvoir rester en vie.

Son attaque sur Xilven ne m’étonne pas particulièrement. Elle ne fait que faire monter mon angoisse. Le prochain ce sera moi. Je le sais avant même que les yeux perçant de la louve noire se tournent vers moi. « Donnez-moi une raison de ne pas vous faire regretter ce que vous venez de faire. » C’est ce qu’elle a dit. Je pourrai essayer de me justifier. Après tout, c’est précisément pour ce genre de cas que je n’ai pas attaqué Xilven en premier. Mais, au final, ce serait bien indigne de moi.

– Je pourrai vous dire que je n’ai fais que me défendre, ma reine. Mais ce serait d’une exécrable lâcheté d’invoquer la légitime défense. J’accepterai toute sanction de votre pars, dis-je, le regard droit.

De toute façon, je vais déjà devoir passer un certain temps chez un guérisseur alors un peu plus ou un peu moins.