Premier Mars 2020

[...] J'observe la lune à l'horizon. Elle darde ses rayons pâles sur le monde silencieux, laissant une ambiance un peu morbide se répandre. J'aime les nuits paisibles mais je les abhorre aussi ; parce que ça me rappelle que, sans Yuubae, le « vide » est partout. Je plisse les yeux. La lumière éclabousse la glace. En-dessous des couches les plus fines, je vois des ombres qui dansent. Les animaux marins. Je me penche en apercevant une masse plus large : un mammifère. Ceux qui pensent que la mer gelée est inerte sont des idiots. Il suffit de s'arrêter quelques minutes pour voir que ça grouille de vie — surtout, que ça pullule de proies.

Récapitulatif des chasses

01.03 : 3 proies — 0 com.
02.03 : 2 proies — 1 com.
03.03 : 2 proies — 0 com.
04.03 : 2 proies — 0 com.
05.03 : 1 proie — 0 com.
06.03 : 1 proie — 0 com.

Premier Mars 2020

[...] Je ne sais pas depuis combien de temps je suis là, à observer le calme. Probablement des heures. Je n'ai pas envie de rentrer. Pas encore. J'ai besoin de ces moments où je me retrouve seule avec moi-même, loin de l'effervescence du groupe. J'aime la communauté Yuubae mais, parfois, leur présence me pèse. Ils me rappellent que j'ai des responsabilités, que des personnes comptent sur moi. Je lève les yeux vers le ciel sombre. La soirée n'a même pas réellement commencée ; pourtant, l'éther s'est déjà paré de bleu nuit. De petites perles brillent sur ce morceau de velours presque noir.

Un murmure d'air me ramène à la réalité. Je ne suis plus seule. Je baisse les prunelles, chasse le souvenir omniprésent de ma mère biologique qui me colle à la peau, puis lance un regard dans mon sillage. Je suis surprise de croiser Avem. On ne se voit plus beaucoup, ces dernières semaines. Elle prend son boulot de chasseresse très au sérieux. J'en suis ravie mais c'est douloureux de voir le gouffre se creuser entre nous. Je ne pensais pas dire ça un jour, moi qui râlais qu'elle me suive trop durant sa jeunesse.

- Tu as besoin de quelque chose ?

Elle m'adresse un sourire doux en s'approchant. Elle a gagné en assurance mais aussi en grâce. C'est une belle femelle ; je suis sûre que les mâles de la meute ne manquent pas de remarquer ses yeux brillants. Elle m'accorde un petit coup de coude en s'asseyant à mes côtés. Ses billes s'attardent sur les proies que j'ai chassé au fur et à mesure de la journée.

- Jolies prises, chef.
- Merci. J'essaie.

Elle s'étire en ronronnant de bien-être. Le petit vent nous caresse, les odeurs du large nous chatouillent les narines. Celles du large mais aussi... eh bien, celle de mes carcasses. J'ai ramené pas moins d'un morse, un lièvre à l'épaisse fourrure blanche et un oiseau marin dont j'ai oublié le nom. On demeure là, ensemble, une heure de plus avant de se décider à ramener mon butin.

Deuxième Jour de Mars 2020

[...] Je suis lovée dans les ombres. Comment puis-je me cacher dans l'obscurité en étant blanche comme un linge, me direz-vous ? Eh bien... Le Nord est un atout. Le sol, quand il n'est pas recouvert de neige, n'en a pas pour autant une couleur très prononcée. Le gris sombre, la couleur sèche de la végétation me dissimule relativement bien. Je n'ai qu'à me rouler dans un peu de boue, salir volontairement ma fourrure, pour que je me fonde dans le paysage. C'est une aubaine, d'ailleurs. J'ai décidé de chasser.

Je m'apprête à sauter sur une pie lorsque le comportement de celle-ci m'interpelle. Le front barré d'un pli anxieux, je penche la tête sur le côté. Elle bouge en cercle. Je passe outre, m'élance en prenant de l'élan. Mes crocs se referment sur une aile délicate. Les os creux craquent. L'oiseau pousse des hurlements mécontents, se débattant en projetant ses plumes sur le sol. Je l'achève en la frappant d'un coup sec sur un rocher, la lâche, puis me rapproche de l'objet qui a attiré son attention. Une comète. Encore une. Je la ramasse, de même que ma proie avant de rentrer au camp. J'ai déjà ramené un phoque un peu plus tôt dans la journée. Nous ne manquons pas de nourriture.

Troisième Jour de Mars 2020

[...] L'aube est déjà là. Je soupire, les yeux réchauffés par les premiers rayons de soleil. Ils sont pâles, discrets. Ils ont du mal à percer la couche des nuages, à ramper au-delà des pierres. La glace, dessus, commence à fondre. Peu à peu. Je sais que le « renouveau » de la Nature est proche. Il ne l'a jamais autant été. Des fleurs poussent doucement. Des feuilles reviennent parer les branches nues des arbres. Autant de plantes qui jettent des ombres sur les murs.

J'ouvre un œil, les muscles endoloris. Je n'ai pas beaucoup dormi. Sans doute une ou deux heures, à peine. Je me redresse à-demi pour sourire à mon père qui sort pour une ronde. Je m'étire langoureusement mais décide de me recoucher. J'ai chassé durant la nuit, ce qui me donne — je crois — une permission pour un peu de sommeil en plus.

Qu'est-ce que j'ai chassé, me demanderez-vous ? Des poissons ! Ouais. Je dis « chasser » mais j'ai, en réalité, pêché.

Quatrième Jour de Mars 2020

[...] Je me rapproche de la Cascade. Elle regorge de bestioles, en ce moment. Surtout de poissons. Ils remontent le cours d'eau pour frayer, puis prennent du repos dans le petit lac. Je me penche au-dessus de l'onde qui brille doucement sous les rayons pâles du soleil. L'air se réchauffe un peu plus au fil des jours, même si nous ne sommes pas encore aux portes de l'été. Je bâille. Quelques loups flânent aussi à proximité. J'entends leurs chuchotements sans parvenir à les décrypter.

Je décide de passer au-dessus de cela, me dépêche d'entrer dans l'eau froide. Je me désaltère d'abord, avant de commencer à pêcher. Je récupère deux saumons que je pose sur les berges, puis m'accorde quelques heures pour nager.

Cinquième Jour de Mars 2020

[...] Je ne me sens pas très bien, aujourd'hui. J'ouvre péniblement des yeux gonflés pour découvrir que le jour est levé depuis plusieurs heures. Je me recroqueville, le corps gelé. Les frissons se succèdent sur mon dos, s'amusent à me mettre mal à l'aise. Je soupire, pousse un gémissement à peine audible. Les courbatures me paralysent les muscles. Je me rendors, sombrant dans un sommeil agité. Au final, c'est le son de pas familiers qui me tire des bras de Morphée. Je découvre une paupière. C'est ma mère. Elle m'observe, soucieuse. Un lapin pend dans sa bouche. Elle me le dépose pour que je me nourrisse, puis se couche à mes côtés pour me veiller.
Je la remercie en silence avant de retourner une nouvelle fois dans la pénombre.

Sixième Jour de Mars 2020

[...] Mes yeux me brûlent. J'ai décidé de sortir pour me reposer au soleil mais je ne suis pas sûre que l'idée ait été la meilleure, au final. Les rayons du jour me font mal, le vent renforce les frissons qui me courent le long des reins. Ma mère a du mal à me laisser pour remplir son devoir. Je peux la comprendre. Je crois que je deviendrais folle, à sa place, si mon seul môme était malade.

Je me love un peu plus contre le rocher. La Cascade fait un bruit qui m'apaise même s'il résonne dans mes oreilles avec plus de violence que d'habitude. J'essaie de me rendormir, de me calmer suffisamment pour chasser les dernières bribes de cauchemar qui me hantent. J'en fais souvent lorsque je suis malade.

Ma mère arrive à ce moment. Elle a encore écourté sa chasse pour me ramener à manger. C'est un cormoran. Elle prend une pause à mes côtés pendant une petite heure avant de repartir. Pour ma part, j'ai l'estomac bien rempli.