Je ne suis pas chasseur et je le sais bien. Pourquoi chasser alors ? Pour l’adrénaline. Pour la satisfaction. Pour l’instinct primaire.

Je suis le Veilleur. J’ai bien assez de travail comme ça. Je ne devrais pas avoir le temps d’aller chasser et, en quelque sorte, de faire le travail d’autres. Mais je ne considère pas la chasse comme un travail. Non, ce n’est pas du travail. C’est du plaisir pur et dur. Chasser avec ma sœur, chasser avec Alavis, chasser avec les apprentis sentinelles. C’est du plaisir, pas du travail. Bien qu’il soit possible de prendre du plaisir en travaillant, je ne dis pas le contraire.

Disons seulement que le fait que ce ne soit pas mon travail et que, si je ne rapporte rien, je ne risque rien, permet à la satisfaction d’atteindre son paroxysme.

Bref, assez blablaté, place à la chasse.

Récapitulatif de mars :

01/03 : 2 lièvres
02/03 : 1 buse + 1 comète
03/03 : 1 écureuil
04/03 : 1 mulot + 1 comète
05/03 : 2 poissons
06/03 : 1 musaraigne + 1 comète
07/03 : 1 comète
10/03 : 1 lapereau
29/03 : 1 lapin

Le soleil est tout juste levé quand la première patrouille part de la tanière tandis que les deux autres chefs de patrouille du jour s'organisent avec les sentinelles restantes.

Je prends alors le temps de m'étirer avant d'aller faire le tour du camp pour m'assurer que tout est en ordre. La petite compétition de chasse que j'ai faite avec Alavis il y a quelques jours m'a vraiment fait du bien. Je me sens serein et prêt à attaquer ce nouveau mois avec toute la force qui me caractérise.

Et si j'allais chasser un peu avant que le reste de la meute ne s'éveille ?

Aussitôt je me mets en marche. Je n'ai aucune destination particulière en tête. Je marche seulement dans le territoire des Yuubae jusqu'à sentir une odeur intéressante.

C'est le léger fumet d'un lièvre qui me fait tourner la tête vers un petit bosquet. Mettant mon odorat à l'épreuve, je me rends compte qu'il n'y a pas un mais deux lièvres cachés dans ce bosquet.

Ni une, ni deux, je m'approche doucement et donne un grand coup de patte dans l'amas de verdure pour y faire sortir les deux petits animaux. La surprise me laisse le temps de les attraper et d'un coup de crocs chacun, le gibier tombe mort à mes pieds. Voilà une matinée qui commence bien.

Ces temps-ci, tout est plutôt calme sur le territoire. Aucune trace des Akatsuki et pas de vagabond assez farouche pour passer la frontière.

Les patrouilles en deviennent presque monotone. Chaque matin, les sentinelles ont besoin d'un peu plus de motivation pour parcourir les frontières, attendant avec impatience, qu'un nouvel événement fasse bouger leur train train quotidien.

Le dernier événement en date est la pluie de comètes du mois dernier. Depuis que le ciel s'est paré de vert, plusieurs loups ont trouvé de petites pierres de toutes les couleurs.

Personnellement, j'essai de ne plus y penser. Le mois dernier je suis devenu obsédé par ces cailloux au point de devenir moins efficace dans mon travail. Ce mois-ci, ça n'arrivera pas.

Une buse dans la gueule, je marche en direction de la tanière quand une sensation familière me stoppe dans mon avancée. Je l'ai maintenant assez sentie pour pouvoir la reconnaître : Une pierre se trouve à proximité.

Quelques mètres plus loin sur la gauche, je tombe sur la fameuse petite pierre orangée. N'écoutant que mes bonnes résolutions, je la déplace dans un coin où je saurai la retrouver mais ne la prend pas avec moi, pour éviter d'être à nouveau obsédé par ces petites choses.

Je suis plutôt heureux et même fier d’avoir réussi à surmonter mon obsession vis-à-vis de ces pierres tombées du ciel. Même si, je ne dois pas me leurrer, je ne dois cette réussite qu’au soutien d’Artémis et d’Alavis. Ma sœur jumelle et mon ancien apprenti m’ont permis de penser à autre chose. De décompresser. D’arrêter cette inutile obsession.

Mais, malgré tout ça, je ne peux m’empêcher de me demande ce que sont ces pierres. Elles sont tombées du ciel le jour où l’horizon s’est teinté de vert mais c’est la seule certitude que nous ayons. J’en ai parlé avec d’autres mais, tout ce qu’ils ont pu faire, c’est me confirmer, qu’eux aussi, ont été attirés par ces pierres. Tout cela est bien mystérieux et c’est exactement pour cette raison, que je veux avoir le fin mot de cette histoire.

Enfin, ce n’est pas comme si ça allait être si simple. J’ai déjà trouvé plusieurs de ces pierres mais ça ne m’a pas amené à grand-chose. Qui c’est peut-être que quelqu’un finira par avoir une illumination. Ou que Rakuen nous dira quelque chose. Je me demande si celle qu’on considère comme une déesse est capable de nous apparaître pour nous parler. Sans doute, c’est une immortelle après tout. Enfin, d’après la légende.

Un écureuil dans la gueule, je retourne à la tanière après cette petite marche. Petite marche qui m’a donné plus de questions que de réponses.

Le lendemain de ma petite marche pensive, je marche avec ma sœur et son apprentie dans la forêt. Pourquoi suis-je avec elles ? C’est une excellente question et j’ai bien peur de ne pas avoir la réponse. Artémis a dû me voir sans rien faire pendant une seconde, a décidé que je m’ennuyais et m’a forcé à l’accompagner. Je ne sais pas dire non à ma sœur, que voulez-vous.

– Mentor, Veilleur, regardez ce que j’ai trouvé !

La petite semble s’extasier sur quelque chose au pied d’un arbre. Il ne me faut que quelques secondes pour reconnaître l’objet. Une pierre tombée du ciel. Mais celle-ci n’est pas comme celles que je trouve. Elle est rosée, par orangée.

– Tu auras le droit de la garder si tu attrapes une proie avant le passage de la prochaine patrouille, lui dit ma jumelle.

L’apprentie hoche vigoureusement la tête et cours à la recherche d’une proie. Après cela, ma sœur tourne la tête vers moi.

– Alors ? Ça compte aussi pour toi.
– Je n’ai pas trouvé de pierre, répondis-je, du tac au tac.
– Ça ne va pas tarder. Tu les attires comme des aimants.

Quelques minutes à peine plus tard, les propos de ma sœur se révèlent vrai puisque je tombe sur une pierre orangée, coincée entre deux rochers. On dirait presque qu’elle m’attendait.

Le sourire satisfait d’Artémis m’énerve tellement que je décide d’aller attraper une proie, pour pouvoir m’éloigner un peu d’elle.

Je reviens rapidement, un mulot dans la gueule. L’apprenti a également trouvée quelque chose et nous rentrons tous les trois à la tanière. Je choisi de donner la pierre orange à l’apprenti. Ainsi, je ne tenterais pas de commencer une nouvelle collection.

Aujourd’hui, j’ai décidé de profiter du beau temps pour emmener Diamantis à la pêche. Évidemment, je ne veux pas la faire pêcher, elle est encore trop petite. Quoi que prometteuse. Mais une petite balade entre père et fille devrait lui faire du bien. Elle aime sortir.

Pendant le petit chemin jusqu’à la rivière, elle saute partout et vérifie régulièrement qu’elle me suive bien et ne se fasse pas mal. Peut-être que j’exagère un peu mais je n’y peux rien. Quand je la regarde, je vois la petite boule de poils coincé au fond de la grotte. Je sais qu’elle a grandi depuis, mais elle reste tellement minuscule…

Arrivés à la rivière, je montre quelques mouvements de patte à Dia et lui demande de faire attention.

– Les rochers mouillés peuvent être glissant. Surtout, ne saute pas dessus. Tu risques de tomber malade si tu tombes dans l’eau à ton âge.

Son corps est plus petit. Elle utilise donc moins d’énergie pour réguler sa température. Je ne préfère tout de même pas tenter le diable.

Après un certain temps de rigolade en famille, je décide d’attraper quelques poissons pour le garde-manger. J’en attrape deux et en donne un Diamantis pour qu’elle apprenne à porter une proie sans la manger. Ce qui peut s’avérer être un exercice difficile quand on est petit. Heureusement, une fois à la tanière, c’est toujours deux poissons que nous avons et posons dans le garde-manger.

– J’attend de vous une attention absolue. Chaque son, chaque mouvement, chaque odeur. Vous devez tous détecter. Parce que chaque information peut être cruciale. Chaque information peut aider la meute. Chaque information peut vous sauver la vie. Parce que si vous ne la repérée par assez tôt, un ennemi pourra vous surprendre. C’est compris ?

Les trois apprentis hochent la tête. Ils sont presque à la fin de leur apprentissage et aujourd’hui est un examen important. Je n’attends rien de moins que la perfection.

Chacun se rend à l’emplacement qui lui a été désigné et s’apprête à reste immobile pendant plusieurs heures. Cet examen n’est pas simple mais s’ils veulent devenir des sentinelles émérites, ils vont devoir le réussir.

De mon côté, je vais leur tourner autour, à l’abri de leurs regards et de leurs flairs. Je vais les examiner, sans intervenir et quand le temps sera écoulé, j’irai les chercher.

Alors que je marche à une distance calculée de l’un des apprentis, la présence familière d’une pierre me fait tourner la tête. Là, dans un buisson, repose la fameuse petite roche orangée. Mémorisant l’emplacement, je choisi de laisser la pierre tombée du ciel à sa place et de continuer mon chemin. La priorité du moment est l’examen. Je ne dois pas me laisser déconcentré.

Alors que j’observe un autre apprenti, caché dans la pénombre de la forêt, une musaraigne s’approche à proximité. Mon estomac gronde alors, me rappelant que je n’ai pas eu le temps de manger ce matin. Mais une proie trouvée doit être apportée au garde-manger de la meute. Plus pour m’empêcher de la manger qu’autre chose, j’attrape le petit gibier et l’enterre à proximité de l’emplacement de la pierre. Je viendrai le chercher à la fin de l’examen.

L’examen continue.

Jusqu’à présent, tous c’est bien passé pour les trois apprentis. Ils réagissent correctement à chaque signal que leur environnement leur envoie. Chaque son, chaque bruissement, chaque mouvement animal ou végétal, chaque odeur. Comme il le leur ai demandé, aucun n’a encore bougé de l’emplacement qui lui est réservé.

Ils se débrouillent bien même si la fatigue commence à se faire sentir. L’un en particulier, commence à se dandiner un peu. Il doit avoir des crampes à force de rester assis. C’est ce qui m’ait arrivé quand j’ai passé l’examen, presque deux ans plus tôt.

Ça remonte à loin, maintenant que j’y pense. Dire que le jeune loup un peu froussard qui ne s’avait pas quoi faire de sa vie est devenu Veilleur. Comme quoi, il ne faut jamais dire jamais.

La fin de l’examen s’approche. Les trois apprentis ont de plus en plus de mal à rester sur place. Cet examen peut sembler étrange mais, même si les sentinelles sont le plus souvent en patrouille, il arrive qu’elles doivent rester sur place, à la frontière et attendre pendant un temps indéterminé. C’est ce qui arrive quand on pense qu’on va être attaqué. Nous restons aux aguets jusqu’à ce qu’un mouvement ennemi soit détecté et que certain d’entre nous quittent leur poste pour aller prévenir les guerriers.

C’est un exercice difficile mais ils n’ont pas démérité. Je hurle donc la fin de l’examen. Les trois apprentis arrivent rapidement devant moi. Je peux voir leur fatigue à la façon dont ils se déplacent.

– Allez vous reposer. Nous parlerons plus tard. Bon travail.

Sans se faire prier, les trois jeunes retournent à la tanière, au pas de course. De mon côté, je retourne chercher la proie que j’avais enterrée plus tôt dans la journée. Qu’elle n’est pas ma surprise quand je remarque la présence d’une seconde pierre orange à côté de la première que j’avais trouvé un peu avant d’avoir attrapé la musaraigne. A croire qu’elle se multiplient. Le mystère reste entier.

– Alors cet examen ?
– Pourquoi tu me demandes ? Tu sais très bien qu’ils ont réussi.

Tout le monde le sait. Ils ont hurlé toute la nuit dernière pour exprimer leur joie. Ce n’est pas tous les jours qu’on réussi un examen final d’apprentissage. Ils ont néanmoins été engueulés comme des gosses pour qu’on puisse se reposer. C’était plutôt drôle à voir.

– Et toi ? Des apprentis chasseurs ont également passé un examen il me semble non ?

Ma sœur ne parle pas souvent des apprentis chasseurs mais, depuis qu’Eik m’a raconté ses déboires avec ses mentors, je me méfie des entraînements spartiates de ma sœur.

– Le dernier à avoir passé l’examen l’a réussi mais il ne l’a pas crié sur tous les toits. Les chasseurs savent se faire discret.

Le ton d’Artémis me fait clairement comprendre son sarcasme. Je choisi donc de ne pas lui répondre et continu d’avancer à ses côtés dans le territoire des Yuubae.

C’est la légère odeur musquée d’un lièvre qui me fait tourner la tête vers elle.

– Le premier qui l’attrape…
– Gagne le droit exclusif d’embêter l’autre pendant une semaine, termine ma sœur.

D’un fort coup de patte, je m’élance vers l’odeur, n’ayant aucune intention de laisser Artémis prendre l’avantage. Nous faisions souvent ce genre de jeux quand nous étions plus jeunes. Aujourd’hui, tout a changé mais, en même temps, entre nous, tout est toujours pareil.

Quelques minutes plus tard, nous nous retrouvons tous les deux avec un lapereau dans la gueule.

– Plus qu’à trouver les parents maintenant, dis-je ma voix étouffée par ma proie.

Le défi continu.

Un petit lapin, deux petits lapins, trois petits lapins…

Une horrible comptine dans la tête, je continu de marcher à travers les feuillages à la recherche du lapin disparu. Artémis a été appelée par une de ses collègues mais elle m’a clairement fait comprendre que le défi ne s’arrêtait pas pour autant.

– Tu as intérêt à attraper ce lapin Apollo. Sinon…

Elle n’a pas eu besoin de terminer sa phrase. Je sais pertinemment ce qui arrive quand ma sœur gagne ce genre de défis. Ce qui arrive quand elle sait qu’elle a le droit de faire de ma vie un enfer. Ou plutôt, quand elle en a officiellement le droit. Elle ne se prive pas de le faire en temps normal. La différence étant que, là, je ne pourrai rien dire. Pourquoi avons-nous commencé ce défi déjà ? Pourquoi je m’amuse à faire des compétitions de chasse avec une chasseuse ? Pourquoi suis-je idiot.

Sur le point d’abandonner, une très légère odeur de lapin arrive à ma truffe. Victoire !

J’accélère le pas sans pour autant courir. Ce petit gibier a l’air du genre peureux. Il ne faudrait pas que je le rate encore une fois.

Plus l’odeur devient forte, plus je me tapis sur le sol. D’un bond final, j’atterri sur ma proie et la tue d’un coup de crocs. Voilà une bonne chose de faîte. De quoi me permettre de passer une semaine tranquille.