Un véritable amour ?
Ft. Diamantis

Lunaire bâilla.

- Rah ! C’est si vulgaire. Tu ne peux pas être plus discrète ?
- Mhhh. (Elle mima une profonde réflexion.) Nope.

La vieille carne qui lui servait de grand-mère plissa le museau avec dédain. La Bêta se fichait éperdument des convenances ; surtout lorsque la femelle âgée était dans le coin. Avicularia était épuisante. Lunaire rêvait chaque nuit du moment où le parasite reprendrait la route vers son pic enneigé. Sauf que ce jour ne venait pas. Pire ! Il lui semblait que la folle prenait goût à la vie de groupe. Normal, hein. Tout le monde faisait ses corvées à sa place !

Plus qu’aux autres loups Yuubae, le fauve prenait un malin plaisir à pourchasser la Bêta dans ses déambulations quotidiennes. Un poids mort que Lunaire devait donc traîner derrière elle, ralentissant considérablement ses déplacements. Elle n’avait pas manqué d’esquiver la vieille en s’enfuyant les premières semaines, mais sa mère le lui avait reproché. Aucune échappatoire possible, donc. L’ancienne sentinelle devait prendre son mal en patience. Une qualité que Lunaire n’avait pas.

Il n’y avait qu’une entité qui faisait peur à Avicularia : Henael. Du coup, lorsque la femelle Alpha entra dans son champ de vision, la fille aux yeux bicolores pressa le pas pour la rejoindre. La vieille peau se recroquevilla instantanément, puis changea de destination sans demander son reste. Liberté !
Lunaire lâcha un soupir de soulagement. Elle salua doucement sa meilleure amie d’une caresse. Elles entrèrent dans la tanière de concert, en bavardant. Elles échangèrent évidemment les nouvelles, les observations de la journée. Elles discutèrent de sécurité, d’alimentation, des naissances, de la santé de quelques anciens qui montraient des faiblesses… Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus rien à raconter. Après quoi, Lunaire laissa Henael vaquer à ses occupations.

Elle s’apprêtait à reprendre les siennes quand deux petits corps s’avancèrent vers elle. Un sourire se perdit sur ses lèvres face à la scène : la jolie Diamantis, désormais apprentie, poursuivie par une espèce de microbe, Olympe. Elle plissa les yeux, attendrie. Les deux mômes adoptèrent ce « regard » propre aux rejetons. Ouais. Celui-là même que Lunaire avait utilisé, enfant, avec ses propres parents. Elle peina donc à ne pas rire. Elle savait très bien que ce regard s’accompagnait généralement d’une annonce fracassante : une bêtise faite dans le dos des grands, ou des fiançailles naïves qui ne tiendraient pas plus de deux semaines...
Rien de tout cela pour Diamantis. La petite demoiselle avait vraisemblablement d’autres préoccupations. Le front barré par la surprise ou la gêne, la Bêta jaugea les deux morpionnes l’une après l’autre. Elle ouvrit la bouche une première fois pour répondre, se ravisa, recommença. Sans succès. Qu’était-elle censée répondre à cela ? Sa fille devait avoir remarqué la distance physique qu’il y avait entre eux ; mais, à raison. Ils n’étaient pas en couple. Ils étaient devenus parents par la force des choses, parce qu’un bébé avait besoin d’eux.

Elle eut une idée. Un petit sourire conspirateur sur le minois, Lunaire se pencha en avant pour murmurer. Seules les petites louves devaient entendre ses propos.

- Mhhh…. Voyons voir… Est-ce que ces deux petits anges sont capables de garder un immeeeense secret ? Je ne sais pas ! Avez-vous été sages, mesdames ? (Silence théâtral.) Très bien, je vais vous raconter. J’ai rencontré Papa lorsque j’étais toute petite. Un peu comme Olympe. Il était plus grand, ce qui m’énervait beaucoup. Il était plus fort, donc il gagnait nos combats. C’était très énervant ! Du coup, alors qu’on devenait de plus en plus grands, nous nous sommes lancés dans des défis. De plus en plus de défis ! Il fallait gagner un entraînement, ou courir plus vite, ou chasser une proie spéciale. Des choses de ce genre. Et je voulais vraiment réussir. C’est toujours le cas aujourd’hui. Doooonc ! Je vous laisse deviner ? Non ?

Lunaire faisait mine de se taire pour embêter les louveteaux. Son cœur battait fort. Elle n’aimait pas parler de ses sentiments ; pour cause, la Bêta ne les assumait pas du tout. Mais Diamantis méritait qu’elle fasse un petit effort… Du moment qu’Apollo n’en apprenait rien.

- Il y a un nouveau jeu. Celui de « résister » le plus longtemps. Vous comprenez ? Pour résumer, celui qui avoue ses sentiments a perdu. Sauf que… Je déteste perdre. Et Papa aussi. Donc, pour répondre à ta question… Oui. Mais il ne faut pas le dire. D’acc’ ?

Le pire, c’était que ce foutu jeu semblait réellement exister entre eux. S’ils n’avaient jamais évoqué les règles ou les aboutissants, la Bêta et le Veilleur devaient se rendre à l’évidence : ils jouaient encore à ces vieux défis débiles de la vieille époque.