Machiavel était un paradoxe ambulant, et surtout un loup qui inspire une question universelle : est-il extrêmement courageux, ou extrêmement idiot ? Après tout, qui aurait idée d'établir son terrain de chasse dans une jungle sauvage et dangereuse ? Soit un loup qui n'avait plus rien à perdre et qui n'avait aucune conscience du danger, soit un loup qui savait pertinemment que l'endroit était dangereux, et qui était en soif d'aventure.

C'était le cas de Machiavel. Il aimait le défi, se battre pour obtenir à manger était ancrer en lui comme le besoin de respirer ou de manger. S'il n'obtenait pas les choses par la force, il avait l'impression de ne pas les mériter, et de ne pas en être digne. De faire un déshonneur à toute son éducation et ses longs mois passaient dans la souffrance. On lui avait apprit à être dur, vouloir tout faire facilement, c'était insulter le louveteau de son enfance qui avait tant souffert et tant pleurer de l'injustice de l'éducation de ses parents.

Dans la jungle, les proies étaient complètement différentes de ce dont il avait eut l'habitude de chasser dans les simples forêts ou plaines. Ici, il pouvait tomber sur des serpents, des singes tous plus différents et colorés les un que les autres, des tatous, des renards, des insectes, des grenouilles et crapauds. Mais aujourd'hui, une proie quelque peu commune avait décidé de venir s'arrêter à un point d'eau. Machiavel savait que c'était un endroit convoité par tous car tout le monde avait besoin de boire, et aujourd'hui, un héron tentait de pêcher sur le bord du petit lac. Un sourire se dessina sur les babines de Machiavel, le chasseur chassé, il adorait cette ironie.

S'approchant à pas délicat, il se retrouva rapidement derrière celui qui était en train de guetter les poissons du lac. Il attendit que le héron plonge la tête dans l'eau pour bondir. L'animal ailé, trop concentré sur ses proies, n'avait pas entendu le prédateur dans son dos, et Machiavel se retrouva avec un très bon repas pour la journée. Cependant, mieux valait ne pas rester dans le coin avec une proie, cette jungle possédait des prédateurs bien plus imposants et puissants que Machiavel, et il n'avait pas envie d'avoir à abandonner une prise aussi délicieuse. Il traina donc sa proie dans un coin tranquille où il pourrait la manger en toute impunité.

La jungle, territoire sauvage où Machiavel avait élu domicile pour y organiser ses petites parties de chasse solitaire. Il aimait le risque, le danger, et les défis. Si jusque là, il n'avait vraiment rien attrapé d'exotique, il allait aujourd'hui faire la connaissance d'une proie qu'il valait mieux ne pas rater du premier coup.

Marchant d'un pas lent et furtif à travers les plantes exotiques de cette étranger forêt, le loup solitaire était attentif aux moindres mouvements. Il avait longtemps observé cet endroit, suffisamment pour savoir qu'il n'était pas le seul prédateur à rôder de le coin, et qu'il était pour eux ce que les rats étaient pour lui : de possible amuse gueule. Soudain, il entendit un bruit, comme une sorte de sifflement léger. Il s'arrêta net, prêtant une attention toute particulière à ce son qui s'était tut. Il attendit de longues secondes mais, n'entendant plus rien, il pensa qu'il venait certainement d'entendre sa respiration sifflait.

Alors qu'il s'apprêtait à repartir, il entendit à nouveau le bruit, cette fois plus prêt, et juste devant lui. Son regard descendit sur le sol et il vit soudain une branche bougeait. Non, pas une branche, un serpent. L'animal se redressa sur son corps puissant, certainement pour paraitre plus grand, et dévoila sa gueule au grande méchant loup. Les yeux de Machiavel se portèrent aussitôt sur la dentition de l'animal. Pour le coup, la réplique "Grand-mère, qu'est-ce que vous avez de grandes dents !" étaient très appropriées. En effet, la petite taille de l'animal était compensée par d'immense crochets, bien plus longs que les crocs du loup tricolore.

Machiavel analysa l'animal, cherchant à savoir s'il était plutôt prédateur ou plutôt proie. Dans un élan de courage, il donna un coup de patte sur la queue de l'animal qui cracha et balança sa tête dans l'espoir de le mordre. Mais notre loup n'était pas idiot, il avait prévu la réaction et sa patte était déjà loin que les crocs de la bête se refermèrent dans le vide. Il continua de lui donna des coups, dans l'espoir de le désorienter, de l'assommer, ou même de provoquer des blessures trop graves pour qu'il ne puisse l'attaquer. Le serpent en revanche, ne semblait pas d'humeur à mourir. Il se relaissa tomber sur le sol et fila dans les broussailles, disparaissant aussi vite qu'il était apparu.

Notre loup ne tenta pas de le suivre, il ne savait toujours pas s'il était dangereux ou non, et il était sûr qu'il trouverait bien une proie moins dangereuse que ça, inutile de risquer sa vie pour si peu de chair. Il reprit donc sa marche silencieuse, s'enfonçant dans le danger avec autant de silence que le boa constricteur sur lequel il venait de tomber.

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, la jungle n'est pas remplie constamment de proies ou de prédateurs qui pourraient rôder tous les 15 mètres. Machiavel s'était laissé bercé par cette image car depuis son arrivée, il ne cessait de voir de la vie dans les environs. Que ce soit une oiseau qui passe à la volée, une grenouille qui bondit dans les marées ou un singe se balançant en lianes en lianes. Aujourd'hui, personne ne semblait décidé à vouloir mourir.

Il ne rencontra aucune proie digne d'être dévorée, les grenouilles et les papillons ne comptaient pas, mais il ne croisa pas non plus d'énormes prédateurs désirant LE dévorer. Les seules proies convenables se moquaient de lui depuis le haut des arbres, perchés sur une branche à déguster des fruits au gout infecte. Il aurait aimé retomber sur le serpent de la veille, mais il ne vit pas la moindre branche bouger sur son chemin.

Ne trouvant rien de concrets à se mettre sous la dent, il fit demi-tour pour quitter la jungle et aller se reposer. Il ne dormait pas dans cette forêt dangereuse, autant se coller une étiquette "mangez moi" sur le museau à ce compte là. Il aimait le risque, mais il aimait la vie, et tenter de se reposer dans une forêt où des serpents pourraient engloutir un arbre était une bien mauvaise idée.

L'heure de la chasse venait de sonner. Tel un fauve, Machiavel s'aventura dans l'immense jungle en quête d'une proie, sa langue passant sur ses babines dans un geste hypnotique. A chaque fois qu'il passait les premières plantes étonnantes de cette végétation, ses sens étaient en alerte, en quête d'une proie et des prédateurs rôdant dans les parages. Il n'oubliait jamais le fait que ici, il était tout autant le chasseur que le chassé. Il rôdait ici divers prédateurs, petits comme grands, qui étaient des adversaires de taille dans la quête de nourriture.

En parlant de petit prédateur, voilà que le loup tricolore croise la route d'un ocelot, dévorant les restes de ce qui semblait être un oiseau aux plumes colorés. Il n'avait encore jamais vu cet animal, il ne pouvait donc juger de s'il était plutôt proie ou prédateur. Il eut rapidement la réponse à cette question en le voyant feuler de rage et hérisser son poil dans sa direction, les plumes de l'oiseau pendant à son museau ornés de crocs. Si Machiavel s'était promis de ne pas affronter de prédateur, il ne considérait pas le petit félin come tel. Il avait plutôt l'impression de faire face à un jeune louveteau inoffensif qui tenterait de se donner des airs de grands guerriers.

Le grand loup se mit donc à gronder à son tour, dévoilant sa propre rangé de crocs au petit félin qui ne semblait plus si sûr de lui. Ils se scrutèrent pendant un long moment, à juger lequel des deux étaient le plus fort. Machiavel n'attendait que le bon moment pour bondir, et il arriva enfin après un énième grondement de sa part. L'ocelot sembla saisit d'un éclair de lucidité et comprit qu'il ne faisait pas le poids face au grand loup, lui vint alors l'idée aussi intelligente que stupide de prendre la fuite. C'était le moment que Machiavel attendait. Le temps que le félin pivote sur lui même pour s'enfuir à toute hâte, tournant le dos à son adversaire, le loup tricolore avait déjà fondu sur lui, gueule grande ouverte. Si pour notre loup l'affaire était déjà conclue, quelle ne fut pas sa surprise de se manger un coup de griffe sur la joue avant de lui briser la nuque. Il laissa un grondement de douleur tendit que l'animal pendait mollement dans sa gueule. Ce petit incident n'avait pas suffit au petit fauve pour échapper à son prédateur.

Satisfait de cette proie et de cette découverte, il fit demi-tour pour quitter cette jungle dangereuse, où tous le monde est un chasseur et une proie à la fois.

Depuis son terrible et désolant combat face à cet étranger vêtu du noir sortit de nul par dans la nuit, Machiavel avait énormément de mal à chasser. Chaque pas lui rappelait que cet imbécile lui avait fracturé un os, si ce n'est plus il n'y connaissait rien, il n'était pas guérisseur, et qu'il ne pouvait avancer qu'en boitillant. De plus, les coups de crocs qu'il avait porté à son cou l'empêcher de tourner la tête, il devait donc faire pivoter l'intégralité de son corps pour voir dans les directions périphériques. Il avait l'impression d'être une girouette, incapable de tourner sans devoir bouger tout son corps pour le laisser droit.

Pour lui, il était impossible de chasser avec des blessures pareil, jamais il ne pourrait attraper quoi que ce soit s'il devait boiter, mais la soif de vivre le rendait hargneux, et les années de souffrance de son enfance l'avait endurcie face à l'échec et la douleur. Malgré tout, jamais son père ne lui avait cassé une patte, car il avait été très clair à ce sujet.

"Machiavel, si je vous entraine si durement, c'est parce que la vie est dure, et elle sera toujours plus cruelle que moi, alors tu dois t'endurcir, te battre, et vivre. Je vais te faire du mal, physiquement et mentalement, mais jamais je ne te casserais le moindre de tes os, car retiens bien ceci mon fils : un loup à la patte cassée est un loup mort."

C'était plus ou moins ce qu'il lui avait expliqué un jour, dans son enfance, alors qu'il pleurnichait parce qu'il avait encore mangé un coup de griffe de la part de son père. Il ne se souvenait plus de son discours mot pour mot, mais la morale était clair : il était sur la fin, il allait mourir. Alors qu'il était plongé dans ses pensées, les grattements familiers d'un rongeur le transformèrent de girouette affaiblie en prédateur. Les oreilles aux aguets, il s'avança le plus silencieusement et le plus assurément que le lui permettait ses plaies vers la source du bruit.

Caché derrière des plantes sauvages, il observa de ses prunelles jaunâtres un rongeur qui grattait le pied d'un arbre, visiblement à la recherche de quelque chose. Machiavel s'approcha au maximum de sa proie, il sentait la douleur de sa patte qui le lançait, mais il devait en faire abstraction pour chasser, il devait l'attraper, sa survie en dépendait. Sachant qu'il ne pourrait pas s'approcher plus s'en être repéré, Machiavel chargea le rongeur, dans l'espoir de l'attraper. Il avait effectué un bond gracieux, dans l'espoir de lui retomber directement dessus et ne pas trop appuyé sur sa patte, mais sa tentative fut un échec. Le rongeur partit à une vitesse folle et Machiavel ne retomba que sur du vide. Pire encore, la douleur que provoqua sa chute sur sa patte lui arracha un cri de douleur qui résonna dans la forêt.

Le loup blessé serra les crocs, la tête basse, attendant sur des membres tremblants que la douleur de sa patte se dissipe. Il devait trouver un guérisseur, il devait trouver de l'aider. Mettre sa fierté de côté et appeler au secours, car s'il ne le faisait pas, il allait mourir ici, terrassé par la faim.

Machiavel avait du mal à croire qu'il marchait à nouveau. En arrivant à cette étrange grotte, il avait sombré dans un profond sommeil, pensant qu'il ne se relèverait jamais, à bout de force et vidé de son sang si précieux. Il pensait ne jamais se réveillait, mais un miracle était arrivé. Il ne savait combien de temps il avait dormit, mais à son réveil, ses plaies étaient en grandes parties cicatrisée et sa patte était moins douloureuse. Il n'avait trouvé aucun signe de son soigneur. N'ayant personne a remercier, il avait filait rapidement, se disant qu'il ne reviendrait jamais, pour ne pas subir la honte de recroiser ce loup qui s'était occupé de lui. Il espérait n'avoir à jamais le recroiser d'ailleurs.

La première chose qu'il fit fut tester son corps. Il était encore fatigué et vide d'énergie à cause de la faim, mais la douleur avait presque entièrement disparue et ses plaies n'étaient plus aussi affreuses qu'avant. Direction la jungle sauvage pour se remplir à nouveau l'estomac.

Guidé par la rage de vivre et le bonheur de revoir le jour, Machiavel se fit un festin de roi. Tout d'abord, il réussit à attraper un écureuil qui grimpait à un arbre pour s'y réfugier. Ses crocs puissants se fermerent sur la chair tendre de l'animal qui se mit à hurler, espérant peut être le faire fuir. Malheureusement pour lui, le Grand Loup venait de frôler la mort, et il avait la rage de vivre. Il planta ses crocs dans la jugulaire de l'écureuil et ce fut terminé. Il devora la proie entièrement, ne laissant derrière lui que des ossements rongés.

Maintenant, il allait ramener quelque chose pour le soir. A l'affût dans les plantes tropicales, le loup tricolore observait de ses yeux moroses un corbeau boire l'eau qui coulait d'un rocher. Le bruit de cascade camouflait ses pas, et lorsqu'il bondit en attrapant le volaille, des plumes noires volerent dans tous les sens. Il ramena le corbeau hors de la jungle, dans un coin où il pourrait le dévorer en paix.