Résultat des chasses

28.10 : 2 proies.
29.10 : 1 proie.
30.10 : 2 proies.
31.10 : 0 proie.
01.11 : 1 proie.
02.11 : 0 proie.
03.11 : 0 proie.
04.11 : 1 proie.
05.11 : 0 proie.
06.11 : 1 proie.
07.11 : 0 proie.
09.11 : 0 proie.
10.11 : 2 proies.
11.11 : 1 proie.
12.11 : 0 proie.
13.11 : 0 proie.
14.11 : 0 proie.
15.11 : 0 proie.
16.11 : 2 proies.
17.11 : 1 proie.
18.11 : 1 proie.
19.11 : 0 proie.
21.11 : 0 proie.
22.11 : 0 proie.
23.11 : 0 proie.
24.11 : 1 proie.
26.11 : 1 proie.

28.10

Elle était seule. Si seule. Complètement seule. Depuis des semaines, en réalité. Elle avait quitté ses parents le quinze, voilà que le vingt-huit se levait par-delà l’horizon. Son cœur battait la chamade dans son armure d’os. Elle avait grandi, changé, évolué. Personne ne pouvait le nier. Elle savait se débrouiller seule, désormais. À moins d’un an. Elle sentait que l’âge adulte était sur le point de se présenter à elle, d’ailleurs ; Lied avait onze mois. Une fois la frontière de Novembre dépassée, il n’y aurait plus de retour en arrière possible. Elle serait une grande.

Elle soupira, les yeux levés vers le ciel. Il était pur et dégagé, aujourd’hui. Pourtant, le palpitant de Lied était plein de nuages. Sa meilleure amie lui manquait. Elle avait déjà envisagé de rentrer pour la revoir mais elle n’était pas naïve ; ses problèmes recommenceraient sitôt réinstallée à la maison. Elle ne pouvait pas reprendre le chemin inverse avant d’avoir trouvé sa raison de vivre. Elle devait essayer plus fort — voilà tout.

Alors, comme souvent ces dernières semaines, Lied commença la journée par une chasse soigneusement orchestrée. La routine avait affûté ses sens, ses crocs, ses griffes. Elle était mortelle, désormais. Une espèce de monstre de poche qui parvenait à tuer plus facilement que jamais. Le sort la plaça sur la piste d’un sanglier. Elle manqua — de justesse — un coup de défenses. Par chance, son repas achevé, la jeune femelle sembla repue.

29.10

Ah… Lied. Que disais-je ! Étrangère était plus approprié. Parce que l’enfant avait oublié son nom. Déchirant, pas vrai ? La petite blanche déambulait doucement en repensant à ce vieil arbre sauvé. Son pouvoir exerçait sur sa propriétaire une fascination presque morbide. Oh, bien sûr, l’Étrangère savait que le sacrifice était cher ; mais qui était la môme pour refuser son aide à la Nature, sous prétexte que cela coûtait un souvenir ? Un simple souvenir…

L’adolescente pensait pouvoir vivre avec ces trous béants dans son histoire, du moment qu’elle n’oubliait pas comment chasser ou respirer. Elle espérait aussi, secrètement, ne jamais perdre le souvenir de ses parents ou celui de sa meilleure amie. Ce serait trop déchirant.

Ce matin-là, brumeux, était froid. L’Étrangère trembla un peu, enfonçant la tête dans les épaules. Elle rêvait de la chaleur de son étoile de mère ; mais il n’était pas encore l’heure de rentrer. Aussi, la môme se motiva courageusement à chasser pour se remplir l’estomac. Avec l’arrivée des basses températures, ses besoins avaient augmenté. Son corps était plus gourmand. Elle parvenait à mettre la patte sur une petite martre, pas mécontente de sa trouvaille malgré l’odeur incongrue.

30.10

L’Étrangère était maintenant installée dans sa petite routine de vagabonde : bouger, chasser, dormir où cela était possible, recommencer. Une ritournelle obsédante qui devenait pénible. Elle rêvait de renouveau, de changement, sans jamais sombrer dans les habitudes usantes. Mais l’Étrangère se savait trop gourmande. Pour cause, chacun était condamné à accepter la redondance pour — au moins — subvenir à ses besoins.

Elle soupira, les yeux presque fermés. Le vent lui apportait un tas d’odeurs délicieuses : celle des proies, des prédateurs, de la végétation, de la pluie. Elle papillonna des cils, chassant le pli frustré au milieu de son front. Elle se glissa vivement sur les chemins de chasse devenus familiers, lancée sur la piste d’un ours. Ceux-là, proches de l’hibernation, se dépêchaient de remplir leurs estomacs. Elle en trouva un au bord d’un ruisseau bruyant. L’animal pêchait frénétiquement. Prudente, l’Étrangère vola un premier poisson gras. Puis, remarquant que l’autre ne l’apercevait pas, recommença. Après quoi, ses deux trophées en gueule, la jeune femelle se replia.

31.10

L’Étrangère se réveilla en frissonnant. Son corps lui semblait particulièrement lourd. Ses muscles étaient chauds, fatigués, courbaturés. La femelle se recroquevilla dans sa tanière humide, abandonnée par son précédent propriétaire. Ses lèvres tremblaient, ses yeux collaient. Elle poussa un gémissement unique. Il faisait si froid… Elle était épuisée. Elle avait sûrement attrapé un sale rhume peu auparavant. Sa famille lui manquait.

01.11

Je passais le museau dehors, précautionneuse. J’étais fatiguée. Mes pensées étaient encore floues, mes oreilles bourdonnaient. Je découvrais cependant que le climat s’était adouci ; le vent de la veille s’était levé, le ciel était dégagé. Je devais chasser ou je risquais de m’affaiblir rapidement. Consciente de cela, je me glissais sur les routes connues pour chercher une piste. Je relevais celles de plusieurs grosses proies mais ne m’y forçais pas. Je n’étais pas assez en forme pour tuer un animal trop imposant. Je pourrais me faire blesser, voire pire.

Je trouvais finalement le terrier d’un lièvre. Je me dépêchais de creuser pour le débusquer, après avoir soigneusement rebouché les autres sorties de ses galeries. Il succomba d’un coup contre un rocher, la nuque brisée.

02.11

Les jours glissaient sur l’Étrangère et ses souvenirs lui semblaient de plus en plus loin. Elle avait réutilisé son pouvoir la veille, en croisant un arbre déraciné par la tempête. Si le colosse ne s’était pas relevé, les racines avaient formé un entrelac de lianes jusqu’au sol. Elle ne savait pas précisément si le soin avait marché mais l’Étrangère s’en contentait. Elle avait néanmoins réalisé son problème quand, une fois encore, l’envie de rentrer lui avait frôlé l’esprit au réveil. Elle s’était demandée : « C’est où, chez moi ? »
La réponse ne lui était jamais parvenue.

03.11

L’Étrangère progressait doucement dans la végétation. Le pouvoir grondait dans ses veines. Il commençait à peine à se reconstituer après le soin donné deux jours auparavant ; la jeune femelle le sentait rouler dans son sang, regagner le creux de son ventre où il s’accumulait. Il formait une chape de plomb sous son estomac, provoquant des nausées régulières. Elle avait du mal à manger, à se concentrer. Parfois même à respirer. Il lui semblait qu’il cherchait à la détruire de l’intérieur.

Détestable pouvoir.

04.11

Elle erra un long moment sans savoir où aller. « Je suis sûre que c’est par là » murmurait sa petite voix alors qu’un chemin lui semblait familier. Mais, désormais, chaque route lui disait quelque chose sans qu’aucune ne ramène à la « maison » ; pourtant, l’Étrangère voulait rentrer. Elle le désirait plus que tout au monde, sans réellement savoir ce qui avait changé. Elle frissonna sous la caresse du vent.

« Mamaaaan ! »

Pas de réponse.
Elle se recroquevilla. Elle finirait bien par les retrouver. En attendant, l’Étrangère devait chasser. Elle se lança sur une piste au hasard. Celle-ci se révéla être celle d’une hermine.

05.11

L’Étrangère regardait l’horizon avec application. Elle suivait les courbes des nuages, reluquait les couleurs qui pâlissait à mesure que la journée avançait. Elle n’avait goût à rien, ce jour-là. Elle était fatiguée, découragée, un peu seule sur les bords. Elle était lasse d’avancer seule dans le monde. Elle voulait retrouver sa famille qui lui manquait, redécouvrir la saveur spéciale des repas à plusieurs, des soirées froides passées avec ses proches.
Elle commençait à croire qu’elle ne rentrerait jamais.

06.11

Vous me manquez, ce soir. Maman, Papa, Hélena. Vous avez laissé un trou béant quand je suis partie. Je crois, au final, que c’est la raison de vivre que j’ai cherché si désespérément ; je pensais avoir besoin de quelque chose de matériel, de différent. D’un ennemi, peut-être.
En réalité, il semblerait que ce soit simplement vous. Vous êtes l’espoir, la lumière, la chaleur. Vous êtes ce lieu, là, que j’ai oublié et où je voudrais retourner. Je cherche. Je cours tous les jours en espérant revenir sur mes pas mais les chemins se ressemblent tous.

Alors je me résigne, alors je me rabats sur la chasse. Sur les choses que je sais faire. Aujourd’hui, ce sera un lièvre parce que j’ai peur de m’attaquer à plus gros. Il y a des jours comme ça où les angoisses sont plus fortes que d’autres.

07.11

Je crois que j’en ai assez de errer. Je crois que je peux avouer être perdue sans hésiter. J’ai l’impression que les souvenirs s’effacent de plus en plus au fil des jours. Je sais que j’abuse de ce pouvoir qui m’a été donné, j’ai conscience que je ne serai plus qu’une coquille quand il aura dévoré mes rêves jusqu’au dernier. Je sens ma personnalité s’effriter ; pour cause, ses racines sont peu à peu arrachées. J’ai oublié des choses essentielles, j’en suis persuadée. Je commence à avoir peur.
Peur qu’on me prenne Hélena ou mes parents. Peur d’être, après cela, seule au monde alors que quelqu’un me cherche.
Mais est-ce qu’ils me cherchent, en réalité ? Je ne sais pas.
Mais je veux rentrer.
Laissez-moi rentrer pour une fois.

09.11

Je sens une larme. Une seule, minuscule, dangereuse, chaude à crever. Je sais que j’ai été dépossédée, encore. Je regarde les fleurs réanimés. Il y en a quatre, aujourd’hui. Je sais que je progresse, je sais que mon pouvoir prend de l’ampleur. Il est comme énergisé par ma séparation avec ma famille, comme excité par ce voyage — un périple qui s’éternise. J’ai l’impression qu’il ne va pas se finir. Il faudrait, pourtant. L’hiver approche, je vais mourir seule dans la neige si on ne me rend pas à mes proches.
J’aimerais aussi me rappeler enfin comment je m’appelle. Parce que c’est la base de tout être, ce nom-là.