Récapitulatif des chasses

12.12 : Aucune proie.
13.12 : Aucune proie.
14.12 : Aucune proie.
15.12 : 1 proie.
16.12 : Aucune proie.
17.12 : 1 proie.
18.12 : 1 proie.
19.12 : 1 proie.
22.12 : 1 proie.
23.12 : 1 proie.
24.12 : 1 proie.
27.12 : Aucune proie.
28.12 : Aucune proie.
29.12 : Aucune proie.
30.12 : 1 proie.

12.12

Shyvana était arrivée dans le Sud le mois précédent. Elle qui n'aimait pas particulièrement la chaleur avait décidé de troquer son confort au profit de celui de sa mère, vieillissante, qui ne supportait plus la fraîcheur de la mauvaise saison. La vénérable chasseresse n'en avait été que plus reconnaissante, même si les mots lui manquaient pour l'exprimer. Elles voyageaient ensemble sans échanger trop de paroles, un peu gênées par la soudaine proximité imposée par la disparition du père de famille. Elles avaient été réunies par la force des choses, acceptant ce destin un peu bizarre mais qui leur évitait de sombrer dans les souvenirs ou la mélancolie.

13.12

Shyvana avait été souvent surprise au cours de ces quatre mois. Elle découvrait de nouvelles choses, de lieux improbables. Le désert, spécialement, avait su se faire une place dans son cœur. Elle ne l'avouerait jamais, évidemment, mais ses yeux avaient du mal à se séparer de l'immensité mouvante. Elle voyait le sable avancer doucement, au fil des jours. Les proies étaient plus rares, ici. Seules les oasis regorgeaient réellement de proies susceptibles de les intéresser. Sa mère les débusquait plus facilement que la jeune femelle. Malheureusement, à sept ans passés, la louve n'avait pas la force de chasser tous les jours. Elle avait besoin de se reposer régulièrement, ce qui forçait Shyvana à faire quelques jeûnes. Encore plus quand la proie ramenée était trop petite pour être partagée.

14.12

- Maman ?

Shyvana avait remarqué une absence, à l'aube. Elle se réveillait généralement la première mais pas ce jour-là. L'odeur de sa mère s'atténuait déjà quand ses paupières s'étaient soulevées ; sa mère était partie depuis un moment. Probablement plusieurs heures. Elle avait suivi les dernières traces olfactives à la recherche de la vieille femelle.

Elle marchait depuis presque une heure lorsque ses yeux la trouvèrent. Ira était penchée au-dessus de l'eau d'une oasis, les cils couverts de larmes pâles. Elle approcha doucement sans chercher à masquer sa présence. Elle ne voulait pas l'effrayer.

- Tu es blessée ?

L'autre secoua la tête. Shyvana réalisa qu'elles n'avaient pas parlé de son père depuis leur départ de Yuubae. Intérieurement, la jeune louve avait espéré que les souvenirs seraient moins lourds à l'écart de la meute, mais aussi que les taire était le plus facile pour oublier. Elle avait tort. Elles vivaient seulement le deuil chacune de leur côté, en souffrant séparément. Elle poussa un soupir, puis s'asseya aux côtés de sa mère.
Elles allaient parler de lui. Rien que pour une journée.

15.12

Le visage de sa mère ne lui augurait rien de bon. Elle était marquée par l'épuisement, par la douleur. Elle avait beaucoup pleuré la veille, ne s'arrêtant que pour dormir ou avaler un minuscule morceau. La mort du père de Shyvana lui faisait beaucoup de mal. Elle en faisait à tout le monde. Le cœur serré, la Marcheuse décida de chasser un peu pour elle. De la viande fraîche apaiserait sûrement une partie de ses tourments.

Elle chercha longuement mais ne trouva qu'un serpent. Elle n'était pas sûre que ses chairs soient comestibles mais la chasseresse saurait lui dire. Elle le rapporta à leur refuge provisoire, installé dans le canyon.

16.12

Le poil de Shyvana était gonflé sur son dos. Il formait une armure soyeuse pleine de messages sombres : des menaces à peine voilées sur le sort qui attendait son jumeau s'il l'approchait. Malheureusement, Estesy ne comprenait pas les signaux. Ou alors il les ignorait sciemment, allez savoir.

Elle lâcha un grognement sourd, faisant sursauter sa mère assise à ses côtés. La vieille louve soupira, puis donna un coup d'épaule un peu rude à la jeune femelle. Elle devait se calmer. Shyvana peina à contrôler son souffle saccadé. Elle se décida néanmoins à tourner le dos au duo mère-fils pour marcher le plus loin possible de son frère. Avec un peu de chance, il serait reparti à son retour. Elle n'y croyait pas trop, cependant. Estesy restait souvent plusieurs jours avec elles avant de reprendre la route.

17.12

- Minou, minou !
- Va te faire voir, Estesy.

Shyvana avait les crocs nus. Elle ne supportait pas son jumeau. Elle poussa un grondement caverneux quand il refusa de reculer ; au contraire, en réalité, Estesy approcha. Il élimina peu à peu la distance qu'il y avait entre eux, chose que Shyvana ne voulait surtout pas voir arriver. Ils se contrôlaient trop peu lorsqu'il n'y avait pas au moins quatre mètres entre leurs deux corps. Elle émit une nouvelle menace audible, les lèvres tremblantes. Quand, enfin, leurs souffles se mélangèrent, la jeune femelle passa à l'attaque. Elle lui sauta littéralement dessus pour le renverser, puis enfonça ses crocs dans la chair molle du coup. Estesy lâcha un jappement scandalisé mais lui retourna ses coups avec la même violence.

Pourtant, les deux se figèrent soudainement. Un chacal les observait avec intérêt. L'un d'eux avait déjà mordu leur mère quelques jours auparavant, forçant les jumeaux à joindre leurs forces pour chasser pour elle. Ses blessures n'étaient pas très belles, d'ailleurs. Shyvana allait devoir songer à trouver un guérisseur pour s'occuper d'elle.

Shyvana roula sur le côté avant de se dépêcher pour attraper l'individu. Il semblait assez jeune, surtout animé par la curiosité ; mais elle ne voulait pas les épargner. Aucun d'eux. Lorsque son frère chercha à l'aider, la Marcheuse cracha vers lui. Pas question de trop céder à la facilité.

18.12

Shyvana était finalement rentrée. Elle refusait de laisser sa mère seule plus d'une nuit, ce qui l'avait obligée à faire la route au pas de course malgré ses blessures. Les crocs de son jumeau avaient laissé des empreintes nettes au milieu des poils arrachés ; si bien que, à son réveil, Ira n'avait pas manqué de voir les plaies. Elle lui avait livré son sermon habituel au sujet de leurs disputes récurrentes mais n'avait pas osé lever la voix. Les joues de Shyvana étaient encore creusées par les larmes versées, quelque chose qui n'arrivait jamais normalement.

La jeune femelle était encore hantée par le souvenir de son frère inerte. Elle avait eu du mal à le laisser derrière elle, à Yuubae, alors qu'il se remettait péniblement de leur affrontement. Elle ne pouvait cependant pas l'attendre. Elle ne le voulait pas, en réalité. Il valait mieux pour eux qu'Estesy décide de rester au sein de la meute, avec Ezizh.

Elle se décida à aider sa mère pour leur repas de la journée. Elles visèrent grand, aujourd'hui : une gazelle.

19.12

- S'il te plaît, Shyvana.

La concernée poussa un hurlement de colère en faisant un énième aller-retour. Elle n'arrivait pas à rester en place. Sa mère voulait que son jumeau vive avec elle. Elle pensait que cela ne pouvait que les aider à survivre à l'hiver, à aller mieux. Shyvana, pour sa part, n'espérait qu'une chose : la paix. Or, une chose pareille n'existait pas dès l'instant où Estesy était dans les parages. Il faisait vibrer son cœur trop fort. Il la rendait malade.

- S'il te plaît. Je suis âgée, ma petite. Je veux mourir auprès de mes enfants.

L'aînée avait les yeux humides. Elle sentait que ses jours étaient comptés. Shyvana écrasa les oreilles sur le crâne, puis soupira. Elle hocha péniblement la tête au bout d'un moment, un mouvement presque imperceptible. Comme s'il avait perçu leur conversation, Estesy arriva une poignée de secondes plus tard. Il avait un gros busard dans la gueule. La femelle haussa un sourcil impérieux.

- Tu l'as volé ?

Estesy souriait avec arrogance.

- Évidemment.

Shyvana émit un grognement sourd, agacée. Il allait définitivement leur attirer des ennuis.

22.12

- À droite ! Droite ! J'AI DIT DROITE.

Malheureusement, son jumeau ne devait pas connaître sa droite. Il fonça à gauche... vers elle. Ils se rentrèrent brutalement dedans, s'emmêlant les pattes pour rouler sur plusieurs mètres. Elle poussa un jappement désespéré en percutant une roche particulièrement dure. Elle rejeta méchamment Estesy qui l'écrasait.

- Tu ne comprends pas quand on te parle ?
- C'est toi, là ! Tu ne sais pas chasser ?
- Si ! Moi oui ! Mais toi... Toi, tu n'es bon qu'à taper bêtement dans tous les sens.

Estesy grogna. Ils dégagèrent leurs crocs blancs, se lançant des œillades meurtrières. Heureusement, Ira arriva à ce moment précis pour désamorcer la bombe. Elle leur hurla dessus de toutes ses forces avant de leur inculquer quelques notions de chasse en groupe. Ils recommencèrent à traquer une chèvre sauvage mais rentrèrent victorieux.

23.12

- Donne-moi un bout.
- Non. Pas envie.
- Si, bien sûr que si.
- Maaaais.

Shyvana essaya de le repousser, sans succès. Le mâle avait au moins une chance : il était légèrement plus grand. Déjà enfants, Estesy arrivait à lui voler ses proies. Il chaparda le lièvre du bout des crocs, puis fila sans demander pardon. La femelle se dépêcha sur ses traces, lui collant au train. Une fois la distance suffisamment amenuisée, Shyvana s'élança dans un bond félin. Elle renversa le loup, refermant ses mâchoires sur une oreille. Ses yeux lançaient des éclairs.

Estesy s'accrocha à son cou pour y pincer la peau fine avant de cracher un grondement rauque. Étrangement, la violence douceâtre de leurs échanges et les menaces qu'ils laissaient échapper lui rappelaient la nuit passée ensemble un an plus tôt. Ils avaient échangé les mêmes avertissements, s'étaient haï de la même manière. Une bouffée de chaleur s'insinua dans son bas-ventre. Shyvana se redressa vivement, comme brûlée, puis récupéra son bien pour manger cachée. Bien sûr, son jumeau reviendrait l'embêter dans peu de temps.

24.12

- Tiens.
- Quoi ?

Le mâle lâcha le corps désarticulé d'un renard sous son museau. Shyvana écarquilla les yeux sans comprendre. Ses prunelles passaient du loup au minuscule prédateur exécuté d'un coup de crocs dans la jugulaire. Le sang maculait sa fourrure. Estesy arborait un sourire lumineux, teinté de moqueries sous-jacentes. Les oreilles couchées sur le crâne, la femelle chercha une raison à sa soudaine générosité.

- Quoi ? Il est vérolé ? Infesté de puces ? De vers ?
- Non, il est frais.
- Pourquoi me le donner ?
- Pourquoi pas ?

Estesy haussa les épaules. Shyvana refusa la proie dans un premier temps, se recroquevillant dans le minuscule repaire qu'ils occupaient à deux. Leur mère dormait dans un autre refuge creusé par l'eau au fil des années, avant que le désert ne recouvre tout. Lorsque Estesy eut le dos tourné, cependant, la Marcheuse vola un bout, puis un autre. Finalement, elle consomma la proie entière.

27.12

Shyvana se réveilla, les muscles endoloris. Le jour n'était pas levé. Il y avait seulement un épais brouillard, dehors, qui masquait le ciel couvert de minuscules diamants. Elle chercha à se redresser, à se dégager. Sans succès. Ses paupières lourdes trouvèrent la raison de ses problèmes : son jumeau. Évidemment. Qui d'autre pouvait la gêner à ce point ? Personne ! Estesy était le seul. Elle soupira bruyamment, puis lui envoya un coup de coude. Le mâle lâcha un grognement mais ne bougea pas.

- Bouge !

Un autre grondement. Il la mordilla à l'épaule, s'affala un peu plus lourdement sur son dos. Il lui lécha la nuque, chose qui l'énerva prodigieusement.

- Arr-
- Chut...

Shyvana poussa une énième plainte de frustration mais s'immobilisa. Il ne servait à rien de continuer à se battre, il ne céderait pas.