Récapitulatif des chasses

01.01 : 1 proie.
02.01 : Aucune proie.
03.01 : 2 proies.
04.01 : 1 proie.
05.01 : 1 proie.
07.01 : 1 proie.
08.01 : 1 proie.
09.01 : Aucune proie.
10.01 : Aucune proie.
11.01 : 1 proie.
13.01 : 1 proie.

J'ai mal.
Pourquoi je ne peux pas la déchirer ?

Nepheline observait Anna. La plus âgée, couchée au bord des eaux calmes du volcan, ne semblait pas être perturbée par sa présence. La môme n'avait pas cessé de se rapprocher au cours de sa sieste, espérant être là au moment où l'autre sombrerait dans le néant. Mais le sommeil de la vieille peau n'était pas réel ; il s'agissait d'un leurre pour la tromper. Anna avait sûrement remarqué son manège visant à connaître ses faiblesses. Aussi, la fourbe essayait de l'obliger à se trahir.

Manque de bol pour Anna ? Nepheline ne comptait pas se révéler. Elle préféra mimer des attentions amicales à l'intention de la vieille. Malheureusement, la petite s'ennuyait. Elle trouvait ces journées longues à crever, sans saveur, sans bonheur. Nargaroth demeurait à ses côtés en silence, ayant été informé de ses plans. Il était sans expression, le visage lisse.

Au bout d'un moment, une libellule se posa sur son museau. Agacée, l'adolescente chercha à récupérer la bestiole minuscule. Elle la goba sans hésiter.

J'ai mal.
Pourquoi je ne peux pas la manger ?

Nepheline aurait aimé poser la question à sa mère mais avait peur de ses réactions. L'aînée pourrait mal prendre l'idée de sa môme qui consistait à buter sa sœur jumelle pour la dévorer. Allez savoir d'où ces horreurs lui venaient. Nepheline, elle-même, n'en était pas sûre. Elle ne se rappelait pas à quel moment ces envies s'étaient pointées. Simplement, maintenant, ces désirs étaient là.

Elle voulut reporter son agressivité sur un autre animal mais ses chasses demeurèrent vaines. Aucun résultat. Elle soupira. Une journée de plus à mourir d'ennui.

J'ai mal.
Pourquoi je ne peux pas gagner ?

Nepheline ronronna intérieurement. Elle avait appelé son jumeau quelques heures auparavant, lui demandant de l'accompagner vers des contrées plus appropriées, plus adaptées à eux : les marécages. Elle s'y sentait bien. Pas de neige, pas de froid. Seulement de la pluie, de la boue, des proies. Elle ne lésina pas sur les efforts pour recharger ses batteries ; après ces jours-ci, si calmes qu'ils en avaient été déprimants, Nepheline avait besoin de récupérer des forces. Des forces qui nécessitaient de tuer pour être réalimentées.

Heureusement, il y avait de quoi faire dans le coin : à commencer par une grenouille. Elle s'amusa à disséquer la petite chose en pouffant, puis se chargea d'un bébé de serpent. Tant pis si l'animal n'était pas vraiment comestible ; Nepheline le trouvait beau.

J'ai mal.
Pourquoi je ne peux pas respirer ?

Nepheline n'avait pas voulu rentrer. Elle n'aimait pas le cratère, malgré les bonnes choses qu'Anna y récupérait. Elle y récupérait des plantes censées les guérir mais la petite noire savait que sa spécialité, à Anna, relevait plutôt de l'empoisonnement.

Lorsque son bide réclama d'être comblé, Nepheline entraîna son jumeau dans une valse prenante ; une espèce de danse obsédante, au rythme répétitif, qui consistait à utiliser leurs pouvoirs afin de paralyser un animal pendant que la femelle le dévorait vivant. Son frère récupérait les bouts restants lorsqu'il avait été privé de souffle.

Ce jour-là, leurs vilaines attentions se portèrent sur une souris.

J'ai mal.
Pourquoi je ne peux pas grandir plus vite ?

Les marais.
Les soirs avaient quelque chose d'oppressant dans la zone. Nepheline avait les oreilles agitées de soubresauts. À chaque fois que ses paupières se fermaient, des sons lui parvenaient. Des hurlements, des pleurs, des plaintes. Pourtant, en rouvrant les yeux, Nepheline ne voyait rien dans la pénombre.

- Nar ? (Sa voix n'était qu'un murmure pâle.) J'ai peur.

Pour cause, de petites prunelles jaunes brillaient dans les buissons environnants. Nepheline retenait sa respiration dans l'espoir que l'animal l'oublie. Sans succès. Il demeurait là, à l'observer. Il ne se souciait pas de Nargaroth, chose surprenante. Il n'en avait qu'après elle. Les heures s'écoulèrent sans que la petite femelle puisse fermer l'œil, stressée par ce poids sur sa peau. Elle se leva difficilement à l'aube mais remarqua rapidement que le prédateur était partie. D'ailleurs, Narghar ne semblait pas l'avoir vu.

Elle n'insista pas, comprenant que ce problème ne concernait qu'elle. Elle se replia sur elle-même, l'air angoissée. Bientôt, Nepheline agressa un canard installé calmement sur une mare d'eau sale pour compenser.

J'ai mal.
Pourquoi je ne peux pas avancer ?

Nepheline soupira. Leur dernière journée dans ses coins préférés s'annonçait. Les nuits devenaient trop risquées pour de si jeunes enfants. Ils avaient encore besoin de leur mère pour les aider face aux grosses menaces. Ils déambulèrent à deux pendant un moment, collés l'un à l'autre comme à leur habitude. Ils jouèrent surtout dans un nid de serpents non venimeux. Comment ils savaient lesquels faisaient mal ? À force d'avoir essayé en y jetant des animaux plongés dans l'inconscience par Nargaroth. S'ils convulsaient soudainement après une morsure ou prenaient des couleurs bizarres, les jumeaux prenaient leurs jambes à leurs cous ; dans le cas contraire, ils mettaient une pagaille infernale dans les environs. Ils creusaient les galeries, Nepheline récupérait les bébés pour les mettre en pièces, ils récupéraient les entrailles pour les offrir à Anna.

Aussi, chanceux, les jumeaux purent récupérer une femelle imposante. Ils la partagèrent les meilleurs morceaux sans échanger un mot.

J'ai mal.

Les voilà de retour dans la Jungle. Ils n'y avaient plus collé les pieds depuis quelques semaines. Elle ronchonna. Nepheline s'ennuyait, sous la surveillance d'Anna. Celle-ci se foutait pas mal de ce qu'ils faisaient mais... Mais Nepheline ne pouvait pas prendre le risque de rater le moindre événement, le plus petit détail concernant la dame à la fourrure grise. La moindre faiblesse serait une bénédiction pour elle.

Malheureusement, les heures coulaient. Elle commençait à avoir faim et à ne plus tenir en place. Elle risquait de se trahir, en plus, en faisant des allés-retours excédés. Aussi, la môme se résigna à sortir pour chasser sa propre nourriture. Elle pêcha pour la première fois de sa vie, aidée par son jumeau.

J'ai mal.

Nepheline observait le ciel. La pluie coulait sur ses joues, créant de petits sillons similaires à ceux laissés par des larmes. Pourtant, l’enfant ne pleurait pas. Son cœur était calme. Il battait lentement, comme s’il s’apprêtait à sombrer dans le sommeil. Elle avait les paupières lourdes, les sens engourdis. Elle ne percevait même plus le ronflement de sa tante, qui l’avait maintenue éveillée jusque-là.

Elle bâilla. Il ne lui restait plus qu’une ou deux minutes pour regarder les nuages déverser l’eau sur l’herbe boueuse. Elle se glissa à nouveau dans leur repaire — une vieille grotte — pour s’allonger à son frère. Narghar avait déjà cédé aux assauts de la fatigue. Il n’était pas aussi sensible aux sons « problématiques » que Nepheline.

J'ai mal.

Nepheline poussa un soupir.

- Je m’ennuie.

Son murmure n’appelait pas de réponse. Nargaroth, d’ailleurs, ne chercha pas à rompre le silence réinstallé. Ils gardaient simplement les yeux fixés vers la lumière tamisée du jour. Des rideaux d’eau coulaient pour former des torrents dans la Jungle. Il faisait froid. L’humidité dans l’air était étouffante.

Elle avait proposé de chasser ou d’aller jouer ensemble dehors mais ils n’avaient pas tenu cinq minutes avant de se replier. La pluie était trop forte. Leur poil en était imbibé. Nepheline se colla contre son jumeau pour se réchauffer. Elle tremblait de tout son être.

J'ai mal.

Elle était tapie dans les ombres. La végétation de la Jungle recouvrait son corps. Sa fourrure noire se dissimulait parfaitement au cœur des bois ; un atout que Nepheline et Nargaroth n’hésitaient pas à utiliser à leur avantage. Aujourd’hui comme les autres soirs de la semaine, d’ailleurs.

Les pluies diluviennes avaient enfin cessé de les paralyser. Les jumeaux ne s’étaient donc pas fait prier pour échapper à la « vigilance » d’Anna pour chasser un peu. La « vieille » ne leur rapportait que des proies rances, après tout. Or, Nepheline n’aimait pas le goût de la chair en putréfaction. Elle préférait mille fois plus la viande encore chaude. Surtout si le sang palpitait toujours de vie.

Ils surveillaient les déplacements d’un lapin. Ils n’avaient pas réussi à trouver mieux, malheureusement. Mais cela suffirait jusqu’au lendemain. Narghar appela son pouvoir — plus obéissant que celui de Nepheline — pour paralyser la proie, puis sa jumelle s’insinua jusqu’à elle pour se nourrir.

J'ai mal.

Elle a comme une mélodie douce dans le cœur ; une curieuse balade chantée par son sang qui appelle celui qui coule dans les veines des autres animaux. Elle se sent en osmose avec son monde, Nepheline. Particulièrement à ce moment, là, de donner le baiser de l'ombre à un innocent. Elle soupire, pleine d'un sentiment d'amour.

Ravagée par l'allégresse, par le bonheur. Elle en a plein les poumons, plein l'âme, plein les artères. Son jumeau est à ses côtés, ce qui renforce l'impression d'être immortelle. Invincible. Personne ne peut les déjouer. Personne ne peut les arrêter. Même pas la souris sur laquelle ils se sont lancés quelques minutes plus tôt et que Nepheline a dévoré pour connaître la paix. Elle en a encore les lèvres rougies et les yeux fiévreux, d'ailleurs.