En plein milieu de la jungle du territoire neutre de l’Est, je suivais mon frère qui avançait prudemment entre les arbres. Cette atmosphère ne m’était pas familière et la chaleur, beaucoup plus forte que je ne l’avais imaginé en planifiant ce voyage. Laliona semblait beaucoup plus à l’aise que moi et j’imaginais sans peine qu’il était déjà venu ici. Ce territoire était proche de celui des Yuubae et était donc une précieuse source d’informations. Il n’en était que plus dangereux puisque l’autre meute était habituée à ce climat et donc beaucoup plus à l’aise que nous ne l’étions.

A chaque pas, je comprenais un peu plus pourquoi papa avait insisté pour que je demande à Laliona de m’accompagner. Son expérience m’était d’une grande aide. La plupart disent que je suis douée dans mon domaine mais je restais une débutante. En tant que telle, j’avais besoin de quelqu’un pour me guider sur de nouveaux territoires.

Néanmoins, je m’en voulais d’embarquer mon frère ainé là-dedans. Il n’a rien dit quand je lui ai parlé de cette excursion mais est-il vraiment heureux de m’aider ou le fait-il seulement pour respecter le vœu de notre père ? Je n’en savais rien. Contrairement à Ikhaïl que je connaissais par cœur, j’ai toujours eu du mal à cerner Laliona. En même temps, je l’ai beaucoup moins vu que mon frère jumeau, l’espion étant plus âgé que moi. J’espère que m’accompagner ne le dérange pas trop.

Considérant que nous étions assez éloignés du territoire Yuubae et ne ressentant la présence d’aucun loup dans les alentours, je choisis de m’approcher de mon frère pour en avoir le cœur net. Je sais que si je ne le lui demande pas, je n’arriverais pas à réfléchir correctement le moment venu d’espionner réellement. Par précaution, je ne l’appelle pas par son prénom.

— Alors, quel est le programme ? Tu as des « amis » dans le coin ?

Par « amis », je voulais évidemment parler de contacts. Ce mot étant spécifique aux espions, je choisis de ne pas l’employer. Allez Lumen, c’est le moment de se jeter à l’eau. Je baisse légèrement la tête et continu de parler sans le laisser répondre.

— J’espère que ça ne te dérange pas de venir avec moi. Au final, c’est même plutôt moi qui te suis. Je ne voudrais pas que tu me considères comme un boulet.

J’avais beau avoir du mal à comprendre ses pensées, j’aimais mon frère et j’espérais ne pas l’ennuyer plus qu’autre chose.

Des fois, je me demande si c’est moi qui suis « naïve » ou si ce sont les autres qui sont trop prudents. Peut-être est-ce dû à ma jeunesse. Mais, après tout, mon mentor m’a dit de choisir la méthode qui me convenait le mieux. Néanmoins, il est toujours bon d’apprendre d’autres choses. Je sais bien que suivre Laliona n’est que bénéfique pour moi. C’est en partie pour ça que je n’ai absolument pas négocié l’ordre de notre père.

Pour autant, observer d’autres loups m’est absolument indispensable. Pour pouvoir utiliser mon pouvoir de façon optimale je dois connaître des loups de tout types, de toutes morphologies, de tout âges et surtout de tout groupes sociales. Je suis presque capable de me transformer en tous les loups de notre meute. Sauf les plus jeunes. Je peux modifier ma morphologie mais pas au point de devenir un louveteau. A vrai dire, je n’ai jamais essayé mais ça me semble très compliqué. Peut-être que j’y arriverais un jour.

Il me faut un grand temps d’observation pour pouvoir prendre l’apparence d’un autre loup et c’est là que les contacts entrent en jeu. En plus de me fournir des informations, les voir de temps en temps me permet de mémoriser leur façon d’être et ainsi de pouvoir les copier. Il me faut un certain nombre de rencontres évidemment, tout ça prends du temps, mais c’est plus facile ainsi que si j’utilisais une autre méthode.

J’aimerai bien m’entraîner sur Laliona d’ailleurs. Techniquement, je suis capable de prendre son apparence mais en plus d’être inutile, ce serait dangereux. Si un autre loup voix deux loups identiques, il va comprendre que je possède un pouvoir de mimétisme et pourrait en parler autour de lui.

Je m’adresse à nouveau à mon frère, espérant qu’il sera d’accord pour m’assister dans mon entraînement. Je parle assez doucement pour être sûre de ne pas être entendu par un éventuel espion ennemi.

— Dis-moi, en attendant qu’un loup s’approche et qu’on puisse commencer notre travail, que dirais-tu de m’aider à m’entraîner ? J’aurais besoin que tu valides mon copiage.

Parce que c’est bien beau de prendre l’apparence d’un autre loup mais à moins de s’entraîner au bord d’une rivière, il est plutôt difficile de savoir si le copiage est un succès ou non.

Mon projet n’était pas de le copier lui mais après tout, c’était déjà une bonne chose qu’il ait accepté de m’aider et si il le proposait c’est que nous ne courrions aucun risque. Je n’avais pas besoin de l’observer pour pouvoir utiliser mon don. Je le connaissais assez bien. Il était, en quelque sorte, enregistré dans la mémoire de mon pouvoir. Le voir devant moi rendait néanmoins la chose plus facile. Peut-être même trop. Je décidais donc de fermer les yeux. En plus, ça m’aidait à me concentrer.

Après avoir cherché dans ma mémoire toutes les informations que j’avais concernant Laliona, j’appelais mon pouvoir. Cette force enfuie en moi répondit à mon appel et commença à se manifester. Mais alors que je sentais mon pouvoir s’étendre dans mon corps, débutant la transformation, un bruissement me déconcentra, mettant fin à la séance d’entraînement.

J’ouvre les yeux et me rapproche de Laliona.

— Tu as entendu ?

Je n’entendais plus rien mais une odeur commençait à atteindre mes narines. Une odeur ennemie. Un Yuubae.

Assise prêt de mon frère à côté du ruisseau, je me rends compte de mon erreur. J’ai réagi instinctivement, comme un jeune loup qui sors pour la première fois. En une fraction de seconde, tout l’entraînement que m’a inculqué mon mentor s’est évanoui. Je me sens bête. Moi qui considérais être douée dans mon domaine. Avoir travaillé suffisamment dur pour avoir des contacts un peu partout, je me défilais au premier ennemi croisé.

Au final, parler avec des vagabonds était facile mais, le jour où j’aurais assez d’expérience pour pouvoir m’approcher directement d’un Yuubae, y arriverais-je aussi facilement ?

— Merci d’être venu avec moi grand-frère. Cet entraînement m’est très utile.

C’est dans ce genre de moment qu’on se rends compte que, peu importe la quantité d’entraînements reçu, rien ne vaut l’expérience sur le terrain.

— J’aimerai bien apprendre ta méthode aujourd’hui. Je conserverai la mienne puisqu’elle correspond mieux à mes capacités mais nous n’avons jamais trop de bagages n’est-ce-pas ? Si ça ne te dérange pas, bien sûr.

Les techniques d’espionnages sont sensées être transmises de mentor à apprenti mais, après tout, Laliona est mon frère. Je ne vois pas pourquoi cet entrainement supplémentaire poserait problème.

J’ai conscience de ne pas être au maximum de mes capacités. Comment le pourrais-je, je ne suis encore qu’une débutante. J’ai également conscience que mon frère ne voit pas ma méthode d’un bon œil. Il a appris à espionner en étant seul et il considère que c’est la seule façon de faire. J’aime trop mon frère pour chercher à le contredire. Surtout que je n’ai pas été particulièrement impressionnante pour le moment.

Néanmoins, malgré sa réticence, j’apprécie que Laliona ne m’en dise rien et continu notre périple comme si de rien n’était. Pour le moment, je vais donc oublier ma méthode et suivre son exemple.

Copiant sa démarche et son allure, je le suis à travers la jungle. Je m’applique à entendre ce qui se passe autour de moi, espérant que si un autre loup passe dans le coin, je sache rester calme, comme si de rien n’était. Les Yuubae sont des loups comme les autres. Je suis une simple vagabonde. Je ne suis pas sur leur territoire. Je n’ai pas à m’inquiéter.

Tout ceci est plus un entraînement qu’une véritable mission d’espionnage et je sais bien qu’à mon âge, je ne suis plus sensée avoir besoin d’être entraînée. Mais bon, il n’est pas rare qu’un espion rentre sans information. Ca dépend de l’endroit où il se rends, des loups qui étaient présents à ce moment-là et de bien d’autres choses.

Au bout d’un certain temps de marche, sans avoir rencontré le moindre loup, le soleil commence à se coucher. Cela me rappelle la délai que m’a accordé notre père : Cinq jours maximum. En comptant le temps qu’il nous a fallu pour arriver jusqu’au territoire neutre de l’Est, deux jours s’étaient déjà écoulés. Il ne nous restait donc plus que deux jours dans le coin avant de devoir rentrer sur notre territoire. Ce délai sera-t-il suffisant pour découvrir quelque chose ?