14.12

- J'ai faim...

La petite voix de Nepheline se répercuta dans la petite tanière. Les jumeaux en avaient trouvé une où se cacher pour faire peur à Anna. Le but était, très simplement, de passer un long moment dehors jusqu'à ce que leur mère rentre. Après quoi, il leur suffirait de dire qu'Anna leur avait demandé de vivre dans le repère insalubre.

Bon, malheureusement, avec l'estomac dans les talons les choses étaient tout de suite moins simples. Elle dut se résoudre à chercher de quoi se nourrir. Elle refusa qu'ils s'éloignent trop de leur petit refuge improvisé. Elle se rabattit donc sur un crapaud.

15.12

Le plan avait marché à merveille. Ils étaient rentrés dans la nuit, sous les lueurs blêmes des étoiles, en pleurant. Anna avait évidemment écopé d'une punition exemplaire. En plus, grâce à un jeu habile de la part de Nepheline, la femelle grise se laissa gouverner toute la journée. Profitant de l'occasion, la petite noire l'envoya à la chasse pour eux. L'aînée ramené deux proies : un lièvre et un ragondin.

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Nepheline grandissait, comme son frère. Sa psychée peu solide continuait de s'effriter à chaque séparation — même courte — avec le jeune mâle, ce qui rendait ses progrès plus compromis que jamais. Elle perdait généralement le fil, ne se comportait pas normalement avec les autres. Elle ne supportait même plus la présence de sa tante, Anna. Les envies de la tuer devenaient plus prégnantes que jamais.

Pour compenser, Nepheline encourageait son frère à chasser de plus en plus souvent. Ce jour-là, sa haine viscérale se reporta sur un renardeau blessé et un minuscule rat.

21.12

Nepheline chercha le goût du venin. Elle voulait savourer le poison, puis le recracher sur Anna. Elle espérait, intérieurement, qu'avaler des gouttes de ce produit dangereux lui permettrait de devenir — à son tour — venimeuse. Malheureusement, ces possibilités n'existaient que dans sa tête. Les animaux ne pouvaient pas développer des soudaines capacités pareilles.

Elle se contenta, donc, de le dévorer doucement mais sûrement, en profitant des pouvoirs de son jumeau.

22.12

Nepheline déambulait calmement, collée à son jumeau. Ils avançaient dans la pénombre d'une nuit où la lune dansait derrière les nuages, ondulant paresseusement au milieu d'un ciel couleur d'encre. Elle se sentait apaisée, Nepheline. Les odeurs douceâtres du marécage flottaient autour d'eux en l'hypnotisant. Il y avait des proies, des prédateurs, de l'humidité. Elle se laissa bercer par l'ambiance tranquille mais sa tranquillité dura peu de temps. Son cœur aimait trop la mort et la souffrance pour demeurer calfeutré entre ses côtes, là, bien au chaud. Il préférait la voir faire du mal aux autres.

Aussi, parce qu'ils n'avaient pas trouvé de loups dans les environs, les jumeaux reportèrent leur attention sur un petit animal : une grenouille. Elle la goba avec plaisir à l'issue d'un jeu morbide consistant à lui faire sortir le foie par le côté sans la tuer.

23.12

Nepheline ronronna de plaisir en observant sa mère. Celle-ci avait le pelage gonflé, les crocs découverts. L'adolescente avait déposé un baiser douloureux sur l'épaule d'Anna peu avant pour qu'Amanda puisse chanter. Elle adorait écouter sa génitrice chanter ; pour cause, les personnes blessées aux alentours finissaient par développer de larges blessures pourries. La louve sombre s'appliqua à cracher les premières syllabes de sa berceuse sous les yeux fiévreux de sa môme. Elle exultait. Anna gémissait de douleur, se tortillant doucement.

24.12

Nepheline savait que l'heure de dormir approchait. La nuit se développait peu à peu au-dessus de son crâne alors que l'eau glissait sur ses flancs. La pluie tombait souvent ces dernières semaines. Elle avait néanmoins entendu dire qu'ailleurs, l'eau était figée en petits flocons « magnifiques » ; or, Nepheline haïssait les jolies choses. Donc, il lui semblait parfait de vivre dans ces zones-là, épargnées par la fameuse « neige ».

27.12

La petite famille était de passage dans le cratère. Il y faisait beaucoup plus froid. Nepheline observa la neige pour la première fois. Elle pouvait comprendre pourquoi tout le monde disait que la poudreuse était superbe. L'immensité blanche brillait doucement sous ses yeux écarquillés ; néanmoins, l'adolescente se trouvait plus jolie encore. Elle chercha la confirmation dans les prunelles de son jumeau. Seul son avis à lui comptait.

Ils vagabondèrent en s'éloignant un peu des deux aînées. Nepheline, désormais habituée à la mort donnée par ses soins, aimait beaucoup la traque. Elle se contenta d'un lièvre pour ce jour-là.

28.12

Nepheline s'ennuyait à mourir. Les journées au bord du lac — formé dans un volcan ayant explosé — se rallongeaient sans cesse à ses yeux. Elle crevait d'envie de faire quelque chose. De faire du mal à quelqu'un, par exemple. En vain. Les autres animaux surveillaient les jumeaux du coin de l'œil, comme s'ils se méfiaient. Impossible d'abuser de la crédulité des habitants, du coup.
Elle se résigna à creuser doucement dans le sol pour trouver des larves à croquer. À défaut de mieux...

29.12

Mimant la docilité, Nepheline lava doucement le poil d'Anna. Elle faisait semblant d'être gentille, ces derniers jours. Elle essayait de se « rapprocher » de la louve, uniquement dans le but de découvrir ses faiblesses profondes. Elle voulait la blesser plus fort, la voir pleurer. Pour cela, un seul moyen : entrer dans ses bonnes grâces. Elle ramenait à l'aînée de la nourriture — bien que l'adolescente y glissait souvent des surprises désagréables —, débarrassait son poil des parasites qui pouvaient y vivre... Le plan était en marche.